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Gabon – Pour l’Afrique, quelles leçons déjà tirer le la présidentielle gabonaise ?

17 octobre 2016

15 octobre 2016, Paris, Gabon, manifestation pour la fin du mandat d’Ali Bongo,

pour l’Afrique quelles premières leçons déjà  tirer le la présidentielle gabonaise ?

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Ce 15 octobre 2016, Ali Bongo a terminé son mandat et devrait, s’il respectait le résultat du vote, laisser la place à Jean Ping à la Présidence. C’est le message principal qu’a décidé de transmettre la diaspora gabonaise dans sa nouvelle manifestation entre le Trocadéro et l’ambassade du Gabon.

Après un mois et demi de manifestation, la mobilisation parisienne ne faiblit pas. Ils et elles sont de nouveaux 2000 personnes dans la rue, de mieux en mieux organisées, même si la Préfecture de police de Paris commence à leur restreindre les possibilités, en particulier de rester manifester dans la soirée.

Partisan-e-s affirmé-e-s de Jean Ping et militant-e-s plus motivé-e-s par le respect des règles de la démocratie et de la vérité des urnes se rejoignent pour reconnaître la victoire de Jean Ping. Parmi les revendications, revient particulièrement l’exigence que les acteurs de la communauté internationale ne reconnaissent pas le second mandat de l’auteur des coups d’Etat électoraux de 2009 et 2016.

Plusieurs scénettes illustrent le passage à un seuil supplémentaire d’illégalité du président sortant : une nouvelle Cour constitutionnelle après la chute d’Ali Bongo énonce la condamnation à la prison des membres de la Cour constitutionnelle complice du chef de l’Etat déchu. Une statue du chef de l’Etat en bois et en carton est jetée à terre et piétinée.

Dans le parc devant l’ambassade, au milieu des banderoles, plusieurs prises de paroles ont lieu. Jean De Dieu Moukagni Iwangou, président de l’Union du Peuple Gabonais, l’UPG loyaliste, de passage en France, rappelle que la « Cour constitutionnelle ne peut pas nous obliger, car la volonté du peuple est consignée dans les Procès verbaux ». Il explique que le président de la CENAP a réalisé «  une rétention des Procès verbaux intermédiaires » des villes, départements, et provinces, et que « le résultat de la CENAP et du ministère de l’intérieur n’est pas opposable ».

Au même moment, alors que les regards des diplomates et de la presse se sont détournés du Gabon, se dessine un changement de période dans la crise électorale. Le 7 octobre, Jean Ping a annoncé la création d’un Conseil gabonais de la résistance. Depuis, la diaspora discute à Paris de la création de la branche française du Conseil. La lutte s’installe dans un autre rythme, sans renoncements à aucune revendication. Le Conseil de la diaspora va travailler rapidement à « identifier les objectifs de lutte ».

Jean Ping intervient en direct en visioconférence projetée sur un écran. Il demande à la diaspora à Paris d’« informer la communauté internationale », de « revendiquer la victoire par une stratégie d’actions », de « poursuivre la lutte sur tous les plans » et de « participer à la promotion de la démocratie ».

La manifestation se termine par l’intervention de plusieurs artistes. Le poing levé, une première chanteuse répète « parce que l’on a pas le courage de se taire ». Après un second chanteur, c’est le célèbre groupe Movaizhaleine qui met un point final à la journée de lutte.

Pour l’Afrique, déjà quelques leçons à tirer de la présidentielle gabonaise ?

(Ajout du 23.10.16) La 71e Assemblée générale de l’ONU a eu lieu du 20 au 26 septembre. La délégation des faux  juristes de l’Ua envoyé par Idriss Déby a commencé à arriver à Libreville le mercredi 21. La cour constitutionnelle avait jusqu’au vendredi 23 pour donner son avis. C’est dans la nuit du vendredi à samedi minuit et 1h30 à Paris, qu’un juge de la cour constitutionnel a lu un jugement. Entre le 20 et le 23, les présidents et des diplomates étaient donc présents à New-York et auraient pu rappeler à la Cour constitutionnelle ses obligations. Même si le Gabon n’était pas à l’ordre du jour, il y avait aussi des discours ouverts à des thèmes multiples. Il aurait suffi de quelques phrases dans certains discours pour faire comprendre à Idriss Déby et Ali Bongo qu’une forfaiture de la cour Constitutionnelle ne se serait pas acceptée. Par exemple, les dirigeants français François Hollande et Jean-Marc Ayrault auraient eu plusieurs occasions entre le 20 et le 22 pour parler de Gabon, comme le montre la communication officielle de l’exécutif français : la conférence de presse de François Hollande du 20, où celui-ci a parlé du Congo Kinshasa, l’entretien de Jean-Marc Ayrault   avec «BFMTV» le 21, où il a été surtout question des migrations, ou encore le discours de Jean-Marc Ayrault à l’Université Columbia le 22, dont les thèmes principaux étaient  l’Ue, les États-Unis, la Paix et la sécurité, l’Économie, et le Développement.

Le 24 septembre, après le ‘jugement’ de la Cour Constitutionnelle aux ordres du ‘président élu’ du Haut-Ogooué, selon le Ministère des Affaires étrangères français, « la France (a) souhait(é) continuer de se concerter avec ses partenaires africains, européens et internationaux. Elle (a) encourag(é) notamment l’Union africaine à poursuivre sa mobilisation ». Après le silence précédent, cette phrase de cautionnement de l’action de l’Ua signifiait l’abandon des démocrates gabonais. On ne peut pas reprocher à chacun des acteurs en particulier de ne pas avoir parlé officiellement du Gabon à l’Assemblée générale de l’ONU, mais on peut constater a posteriori un silence collectif. On peut voir dans ce silence des acteurs internationaux sur le Gabon à New-York un certain accord implicite préalable à la poursuite du coup d’Etat électoral par la Cour Constitutionnelle avec l’appui de la présidence de l’Ua. Ce message ne pouvait pas ne pas être compris comme tel par le ‘président élu’ du Haut-Ogooué.

Si la situation au Gabon n’a pas fait l’objet de communication officielle, elle a sans doute par défaut été discutée de manière plus officieuse. Sur l’Afrique, pendant toute l’Assemblée générale, il a surtout été question de la RDC, un pays extrêmement surveillé par les acteurs internationaux, où les 19 et 20 septembre avait eu lieu un nouveau massacre d’opposants. Le sort d’Ali Bongo s’est sans doute joué à New-York. Idriss Déby a-t-il tenté de sauver Ali Bongo dans les couloirs de l’ONU ? A-t-il été soutenu par d’autres présidents africains, en particulier parmi ceux qui se montreront ensuite à l’investiture ? Il n’y avait personne pour enquêter et surveiller cela sur place. (Fin ajout du 23.10.16)

Parmi les nombreuses leçons que l’on peut tirer de la présidentielle gabonaise, au niveau processus électoraux dans les dictatures contemporaines d’Afrique, il y a les conditions nécessaires à une alternance par les urnes face à un président ou une famille arrivé-e par une élection fraudée. 60% à 70% des voix semblent nécessaires pour passer la barre des 50%, si une partie des fraudes ne peut pas être démontrée dans des conditions de répression élevée. Une seconde condition est de se trouver dans une dictature où l’armée et la police n’imposeront pas le résultat. Une troisième condition est d’être un candidat reconnu à l’international pour que des acteurs internationaux puissent mettre en place un arbitrage diplomatique réel et non factice.

Autant dire que, si une force extérieure positive n’intervient pas, ces trois conditions ne seront jamais réunies une nouvelle fois dans une des 22 dictatures d’Afrique. Alors que le dernier président non démocratiquement installé qui a accepté de perdre une présidentielle, l’a fait il y a 13 ans, au Kenya en décembre 2002, les élections continueront d’être factices, instrumentalisées pour aider des dictatures à se maintenir. Les missions d’observations continueront de proposer des réformes qui ne seront jamais appliquées. Toute l’Afrique centrale restera enfermée dans le cercle vicieux des élections aux résultats inversés, de la répression, de l’impunité, et des nouvelles élections aux résultats inversées garantissant l’impunité.

Le coup d’Etat électoral gabonais a été démontré d’une manière particulièrement évidente, juste après 3 coups d’Etat électoraux consécutifs au Congo Brazzaville, au Tchad et à Djibouti, alors que l’opposition était forte et suivie par la majorité de la population. C’est pourquoi il vient encore prouver le blocage total depuis 2005 du processus de démocratisation du continent africain.

Si une mobilisation supra-nationale ne vient pas maintenant stimuler un redémarrage du contrôle de la qualité technique des processus électoraux, alors l’Afrique repart, après la crise autour des limitations de mandat dans les constitutions entre 2014 et 2016, vers un nouveau cycle de prolongation des dictatures à moyen terme.

En particulier en Afrique centrale, les populations n’en peuvent plus d’attendre la démocratie depuis 1990. La réaction de la communauté internationale qui a accepté d’être consciemment piégée par la fausse légalité de dictature de la Cour constitutionnelle gabonaise, soutenue par des faux juristes envoyés par le dictateur tchadien allié de François Hollande et de Jean-Yves Le Drian, semble montrer pour l’instant que cette communauté internationale, en réalité divisée, semble prête à attendre passivement la mort au pouvoir des vieux dictateurs Idriss Déby, Sassou Nguesso, Paul Biya, Téodoro Obiang Nguéma, alors la mort de ces présidents ne résoudra rien.

Les décideurs internationaux semblent largement dépassés par la situation, ils observent le pourrissement d’un ensemble d’Etats, privilégiant le levier improbable de la démocratisation potentielle du Congo Kinshasa en 2017, jouant la montre en attendant d’être eux-mêmes remplacés au pouvoir, en France en mai 2017, à la tête de l’Onu en janvier 2017, ou attendant un changement incertain à la tête de l’Union africaine début 2017.

Les élections législatives qui suivront au Gabon, si elles ne sont pas une mascarade totale à l’ombre des véhicules de l’armée, comme les élections législatives prévues au Tchad et au Congo Brazzaville, montreront si les acteurs internationaux continuent de contempler le pourrissement en cours en Afrique centrale, de se faire-valoir dans la gestion des crises en cercle vicieux, d’admirer les chiffres d’affaires des multinationales pétrolières, ou s’ils acceptent enfin de travailler à mettre en place une diplomatie active pour installer un système de prévention dissuasif ferme en amont des processus électoraux dans les dictatures africaines.

Attendre quelques années que l’Union africaine s’améliore d’elle-même revient à ne rien faire. Pour l’Union européenne, cela reviendrait à mettre fin à des années de soutien à la démocratisation de l’Afrique, pour se plier hypocritement à des règles de fonctionnement des institutions internationales, la subsidiarité (l’Onu laisse la priorité à l’Ua) et la complémentarité (l’Ue laisse la priorité à l’Ua), détournées au profit des dictateurs.

Le pire, ce n’est pas une certaine impuissance et une certaine lâcheté des décideurs démocratiques, le pire c’est que depuis longtemps, les dictateurs ont appris à gérer les intérêts des acteurs internationaux, leurs contradictions, leurs mensonges, leurs compromis inassumables, leurs paresses intellectuelles et leurs faiblesses structurelles, pour en tirer un maximum de profits politiques et se maintenir, glissant de plus en plus vers un fonctionnement monarchique et criminel. Les populations observent les différents aspects de cette relation ambivalente entre pouvoirs démocratiques et non démocratiques et n’oublieront sans doute rien.

Régis Marzin, Paris, écrit et publié le 17 octobre 2016

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