Aller au contenu principal

Démocraties et dictatures en Afrique : bilan 2016 et perspectives 2017

18 décembre 2016

Attention ! : mise à jour 2017-2018 disponible depuis 14.1.18 sur page
Démocraties et dictatures en Afrique : bilan 2017 et perspectives 2018

* * *

Démocraties et dictatures en Afrique : bilan 2016 et perspectives 2017

Après 2016, l’année des coups d’Etats électoraux, 2017 l’année de la gestion des crises électorales ?

Régis Marzin, @Regis_Marzin, pour Tribune d’Afrique du 20 décembre 2016 (Bénin), Paris, 18 décembre 2016

Suite de l’étude du 30 mars 2016 : ‘Après 26 ans de démocratisation, dictature et démocratie bientôt à l’équilibre en Afrique

Lire l’article en format PDF

Pour avoir plus d’informations consulter la suite de l’article dans le dossier du 27.4.17:

2016, année des coups d’Etat électoraux en Afrique et démocratisation de l’Afrique depuis 1990(+ cartes)

1.    Evolution du classement des régimes en Afrique de 1990 à 2016 (55 pays)

Changements de régimes et de type de régimes en 2016

Modif°. Etat Pays Evénements et changements Dates
TCII>Dict.S Côte Ivoire Passage de ‘suite de la guerre’ à une dictature (de type Françafrique anachronique) en raison de la situation bloquée des prisonniers politiques depuis 2011, de l’iniquité des poursuites pour les crimes en 2010-2011, des processus électoraux de la présidentielle du 25.10.15 et des législatives du 18.12.16 toujours marqués par l’historique de la guerre en 2011, et surtout en raison en 2015 du soutien d’Alassane Ouattara aux dictatures au Togo lors de la présidentielle du 25.4.15 et au Burkina Faso lors de la tentative de putsch du RSP pro-Compaoré du 16-30.09.15. Cette ‘dictature’, selon une partie des critères de classement seulement, récente et ambigüe, pourrait cependant aller vers une démocratisation autour de 2020 si la limitation à deux mandats présidentiels fait son effet. 25.04.2015

30.09.2015

25.10.2015

18.12.2016

TCII>Démo Burkina Faso Fin de la transition vers la démocratie après la chute de Blaise Compaoré le 31.10.14, la présidence de transition de Michel Kafando le 17.11.14 puis législatives et présidentielle du 29.11.15 et la victoire de Roch Marc Christian Kaboré et du MPP. 29.11.2015

 

En 2016, dans 3 pays, la démocratie s’est fragilisée pour des raisons diverses :

  • Zambie : en raison de la victoire contestée d’Edgar Lungu à la présidentielle du 11 août 2016,
  • Afrique du Sud : en raison de la corruption qui touche la présidence et le parti ANC,
  • Niger : en raison des mauvaises conditions de la présidentielle des 21 février et 20 mars 2016 pendant laquelle l’opposant Hama Amadou était en prison.

La démocratie était déjà fragile à Madagascar, faute de majorité stable à l’Assemblée nationale pour le président Hery Rajaonarimampianina et fragile aux Seychelles, faute d’alternance depuis 1977.

2.    Après 2016, l’année des coups d’Etats électoraux, 2017 l’année de la gestion des crises électorales ?

Avec, en 2016, 14 présidentielles et 10 législatives (et 1 président élu par un parlement), l’Afrique vient de franchir un pic électoral continental, qui a suivi celui de 2011. Parmi les nombreuses présidentielles, la moitié ont été organisée dans des dictatures. 2016 pouvait être attendue comme une année décisive pour le processus de démocratisation continental. Après les mascarades électorales du 18 février en Ouganda, les mois de mars et avril regroupaient quatre élections en dictature déterminantes, au Congo Brazzaville, à Djibouti, au Tchad et en Guinée Equatoriale.

Processus électoraux d’élection présidentielle en pays non-démocratiques en Afrique en 2016

Date scrutin Pays Président Durée pouvoir
18 février Ouganda Yoweri Museveni 30 ans
20 mars + 10 avril Congo Brazzaville Denis Sassou Nguesso 32 ans
8 et 22 avril Djibouti Ismaël Omar Guelleh 17 ans + oncle 22 = 39
24 avril Guinée Equatoriale Teodoro Obiang 37 ans
10 avril + 9 mai Tchad Idriss Déby 26 ans
27 août Gabon Ali Bongo 7  ans + père 42 = 49
1er décembre Gambie Yahya Jammeh 22 ans

Au premier semestre, les coups d’Etat électoraux, autrement dit les élections aux résultats inversés, se sont accumulées. Dans les trois premiers, au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad, les processus électoraux comportent un point commun principal, le trucage des résultats du premier tour, pour placer le président sortant au-dessus de 50%. La passivité, l’indifférence, l’inefficacité ou l’hypocrisie des acteurs internationaux sont apparues au grand jour.

Le second semestre a été marqué pendant l’été par la montée en puissance des négociations sur la RDC, pays très important pour la communauté internationale et africaine, parce que le pays est secoué depuis 1996 et sous supervision internationale. Deux dictateurs n’ont pas réussi à réaliser facilement des coups d’Etat électoraux, au Gabon et en Gambie. Le passage en force au Gabon a montré un conflit potentiel entre Union africaine et Union européenne et mis en évidence le rôle d’Idriss Déby. La situation a fait monter la tension avec l’Ue parce que l’Ue arrive à un moment où elle doit prendre des décisions sur l’avenir de sa politique de soutien à la démocratie au sein de son Approche globale. Un échec au Gabon aurait un effet désastreux, car l’évidence du coup d’Etat électoral d’Ali Bongo a mis en évidence la question qui était encore taboue de l’instrumentalisation des missions d’observations européennes en dictature. En Gambie, c’est le rôle de la CEDEAO qui est mis en exergue laissant se profiler le débat sur le devenir de l’autre dictature sans limitation du nombre de mandats présidentiels d’Afrique de l’Ouest, le Togo.

Les évolutions du second semestre, d’après les informations disponibles au 17 décembre 2016, permettent déjà de prévoir certaines stabilisations de changements de régimes et de type de régimes en 2017 :

Modif°. Etat Pays Evénements et changements Dates
Dict.S>TCII Gabon Instabilité en dictature affaiblie après coup d’Etat électoral de la présidentielle du 27.8.16 assisté par Idriss Déby le 23.9.16, sous observation de l’Ue (Rapport final 12.12.16), dans l’attente des législatives. 27.08.2016

23.09.2016

12.12.2016

Dict.S>TCII Gambie Instabilité en dictature ou début de transition vers démocratie après la présidentielle du 1.12.16 et refus de Yahya Jammeh de reconnaître sa défaite face à Adama Barrow (coalition avec UDP). 01.12.2016

09.12.2016

Dict.S>TCII RDCongo Instabilité en dictature ou début de transition vers démocratie après fin du 2nd mandat de Joseph Kabila le 19.12.16 et refus de garantir son départ et d’organiser en 2017 les élections. 19.12.2016

 

D’autres pays pourraient changer de statut en 2017 en fonction de nouveaux événements, en particulier, le Tchad suite au coup d’Etat électoral de la présidentielle du 10 avril 2016. 2017 sera au minimum une année de gestion de crises dans des dictatures, et ces crises pourraient se transformer ou pas en transition vers la démocratie.

En 2016, l’actualité électorale sensible concernera essentiellement l’Afrique centrale où se concentrera l’enjeu dans le processus de démocratisation continental. Après les coups d’Etats électoraux, des législatives sont attendues au Tchad, au Congo Brazzaville, au Gabon et en Gambie. Dans les 4 cas, il n’y a plus de dates ce qui confirme la crise. Le traitement par la communauté internationale et africaine de ces 4 processus électoraux sera d’autant plus observés qu’ils suivront des présidentielles aux résultats inversés, ou se feront dans une transition vers la démocratie reconnue comme telle, a priori seulement en Gambie dans une hypothèse favorable.

Les togolais attendent des locales depuis très longtemps et pourraient les obtenir. D’autres locales sont attendues en 2017 au Niger et en Tunisie. L’ensemble de ces élections locales ou municipales pourraient permettre de mettre l’accent sur l’enracinement de la démocratie en contrepoids d’une culture dictatoriale.

Des législatives sont attendues en 2017 en Algérie ou au Sénégal. En fin d’années, au Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf atteindra la limite de 2 fois 6 ans, et, en Sierra Leone, Ernest Bai Koroma atteindra la limite de 2 fois 5 ans, et ces deux pays démocratiques connaitront de nouvelles présidentielles et législatives. La présidentielle et les législatives sont programmés au Somaliland le 27 mars 2017, pays particulier entre charia et absence de reconnaissance de l’Onu. Au Kenya, présidentielle,  législatives, sénatoriales sont prévues le 8 août 2017. Le 4 août viendra la présidentielle au Rwanda, puis sans doute le même mois les législatives en Angola qui aboutiront à l’élection au suffrage indirect d’un nouveau président, José Eduardo dos Santos au pouvoir depuis 1979 prenant sa retraite.

Dans quelques jours, le Congo Kinshasa saura peut-être si la présidentielle et législatives seront organisées au second semestre 2017 ou au premier semestre 2018. La possibilité d’une « transition pacifique et démocratique », selon Federica Mogherini le 17 décembre 2016, marquerait également la fin de la crise africaine des limitations de nombre de mandats présidentiels dans les constitutions de 2014-2016. L’enjeu de la qualité du processus électoral est maintenant devenu plus important que le simple départ de Joseph Kabila. Sans doute que le cas congolais s’éloigne du cas de la chute d’un dictateur pour aller sur un processus de transition complexe concernant le système économique, politique et militaire associé à la dictature.

Dans chaque pays, il y a des transitions vers la démocratie ou de l’instabilité entre l’état de dictature stable et l’état de démocratie. Statistiquement sur 55 pays, on observe des périodes ou les pays ‘intermédiaires’ sont plus ou moins nombreux. Une phase d’augmentation du nombre de pays en instabilité pour des raisons diverses peut aussi précéder une période de passage en démocratie de plusieurs pays. En 2017, trois pays maintenant instables, où la dictature est en difficulté pourrait éventuellement aller vers la démocratie, le Congo Kinshasa, la Gambie, et peut-être ensuite le Gabon. L’avenir du Tchad est très incertain.

De 2015 à 2016, les dictatures et de démocraties sont restées en nombre à l’équilibre, 23 contre 23, au lieu de 22 contre 22. En 2017, le nombre de démocraties ne va pas augmenter mais le nombre de dictatures ‘stables’  va baisser en raison des crises dans ces trois pays. Les dictatures perdront leur majorité en nombre, mais vont rester presque aussi puissantes, car le respect des règles de souveraineté fait que les dirigeants même en difficulté gardent de l’influence.

Ce n’est que si le Congo Kinshasa et ses 80 millions d’habitants passent l’étape d’une transition en démocratie qu’un effet sera visible au niveau de l’équilibre de la quantité de population en dictature ou en démocratie en Afrique. Sans doute que des modifications systémiques progressives seront alors plus probables qu’un effet de bascule continentale, à ce stade d’évolution précaire autour de l’équilibre.

Régis Marzin,

Paris, 18 décembre 2016

* * *

3. Carte d’Afrique des régimes politiques, des démocraties et dictatures en 2016

160729carteafriquedemocratiesdictaturestcii-2016-rmarzin

Dictatures stables

23 au lieu 22

+1

Erythrée, Guinée Equatoriale, Zimbabwe, Soudan, Tchad, Congo Brazzaville, Cameroun, Swaziland, Gambie, Ouganda, Djibouti, Togo, Gabon, Angola, Ethiopie , Egypte, Algérie, Tanzanie, Mozambique, Burundi, RDCongo, Mauritanie, Côte-d’Ivoire (2016),
Transition démocratique, complexe, intermédiaire et indéterminé

(TCII)

9 au lieu 11

-1,-1

Transition de dictature vers démocratie: Guinée Conakry,

Monarchie avec début de transition : Maroc,

Suite guerre :

Guerre et Etat failli : Somalie, Libye,

Suite guerre, état failli et transition démocratique : Centrafrique,

Guerre et suite indépendance : Soudan du Sud,

Suite guerre et indépendance hors Etat failli : Somaliland (non reconnu par ONU),

Suite génocide : Rwanda,

Suite coups d’Etat : Guinée Bissau,

Démocraties

23 au lieu 22, +1

Botswana, Ile Maurice, Cap Vert, Sao Tomé-et-Principe, Zambie, Afrique du Sud, Namibie, Malawi, Lésotho, Comores, Sénégal, Nigéria, Ghana, Bénin, Mali, Niger, Sierra Leone, Libéria, Seychelles, Kenya, Tunisie, Madagascar, Burkina Faso (2016),

* * *

4.    Interview de Régis Marzin par Max Savi Carmel pour Tribune d’Afrique

1- Vous êtes l’une des rares personnes à travailler essentiellement et presque en permanence sur les dictatures africaines. Comment les étudiez-vous? Quels sont vos critères, votre stratégie, vos sources d’informations ?

Beaucoup de monde travaille sur les dictatures africaines, le plus souvent avec une approche nationale ou thématique, par exemple de nombreuses associations dans un domaine des droits humains. La dématérialisation et l’accélération des échanges sur internet, l’accumulation des données, poussent à aller plus loin dans des approches continentales, vers de la synthèse supranationale. Les réseaux d’acteurs se construisent mais il manque encore d’outils d’analyse utiles pour du plaidoyer vers des décideurs.

Mon travail de recherche a commencé par l’étude des élections en Afrique, une par une, depuis 2009. En analysant les processus électoraux, il est devenu évident que la valeur d’un processus électoral dépendait essentiellement de la nature du régime en place, d’un côté des démocraties, d’un autre des dictatures. Ces démocraties et dictatures se distinguent assez simplement, et ce qui peut sembler plus délicat est de classer tous les autres types de régimes, intermédiaires et plus complexes, pour pouvoir revenir ensuite à une liste de pays en dictature, année par année. Je ne travaille pas sur la qualité de la démocratie une fois installée, parce que mon sujet principal reste la question de la fin des dictatures. Cette priorité est utile et efficiente pour une perspective de transformation dans une approche supranationale.

Des critères, qui sont expliqués au début de mon étude du 30 mars 2016 ‘Après 26 ans de démocratisation, dictature et démocratie bientôt à l’équilibre en Afrique’ (méthodologie), permettent de distinguer les trois catégories : Dictature Stable, Transition démocratique, complexe, intermédiaire et indéterminé (TCII), Démocratie. Les critères principaux de classement des régimes sont la manière d’arriver au pouvoir et la manière de conserver le pouvoir, prise du pouvoir et putsch, durée du pouvoir, fraudes et trucage des élections, auxquels se rajoutent d’autres critères. Ils correspondent à la possibilité correcte pour une population de choisir librement ses dirigeants. La qualité de l’Etat de droit fait aussi partie des autres critères. Ce choix de resserrement à ces critères essentiels a aussi été fait en considérant en 2014-2015-2016 la focalisation sur la longévité du pouvoir et la crise des limitations du nombre de mandat présidentiels dans les constitutions.

En dictature, la règle est qu’il ne s’observe pas d’élection correcte en dictature sans une transition vers la démocratie préalable. Pour les présidentielles, il y a deux exceptions à cette règle en 25 ans en Afrique aboutissant à la démocratie de manière durable, au Ghana en 2000 et au Kenya en 2002.

Les stratégies concernent d’abord les démocrates en lutte ou éventuellement les institutions en charge de favoriser la démocratisation de chaque pays ou du continent. Comme l’Union européenne s’est engagée à le faire, les citoyens européens peuvent l’interpeller pour qu’elle le fasse le mieux possible. J’essaye de faire cela, et je dois m’informer auprès de démocrates africains et dans les media. Les media, les associations, les chercheurs, les partis politiques, disent beaucoup de choses, et, ce qui manque, ce sont les travaux de synthèse, que ce soit en Europe ou en Afrique, donc en Afrique surtout

2- Quoiqu’on dise, l’Afrique évolue en ce qui concerne la démocratie? Quelles en ont été les étapes fortes?

Depuis 1990, selon moi, il y a eu 6 phases:

– 1990-1995 : phase de démocratisation initiale : + 11 démocraties en 5 ans,

– 1995-1998 : phase de reflux de la démocratie : – 4 démocraties en 3 ans,

– 1999-2006 : seconde phase de démocratisation : + 13 démocraties en 7 ans,

– 2007-2009 : seconde phase de reflux de la démocratie : – 4 démocraties en 2 ans,

– 2009-2012 : stabilisation,

– 2012-2016 : troisième phase plus lente de démocratisation : + 4 démocraties en 4 ans.

Ces phases cachent beaucoup de choses. Par exemple, après la guerre froide, le début du processus de démocratisation continental est aussi marqué par les nombreux échecs de l’année 1992 : 17 mascarades en dictature, une élection réussie en dictature au Nigéria qui aboutira en 1993 au retour des militaires, et seulement 6 processus électoraux corrects. C’est avant la phase de reflux démocratique de 1995-1998.

En 1990 et 1991, la démocratisation avec l’arrivée du multipartisme a mis en difficulté les dictateurs et les partis uniques et cela les a poussés à réagir. L’année 1992 semble le montrer, mais il y a aussi une absence de lien entre les années qui se succèdent. Le système africain est globalement incohérent, basé sur des processus nationaux très autonomes. La phase de reflux continental de 1995-1998 confirme une certaine réaction systémique. Les années 1996 et 1997 ont été très difficiles avec de nombreux processus électoraux incorrects.

3- Est-ce que d’ici un quart de siècle, avec les décès et autres perturbations inattendues, on sera proche de la dictature zéro en Afrique?

Puisqu’il y a eu un lancement synchronisé sur le continent du multipartisme en 1990, et que l’échec de l’étape du multipartisme est maintenant bien documenté, la question est de savoir s’il peut y avoir le lancement d’une nouvelle phase qui aurait pour caractéristique de mettre en avant l’échec du multipartisme, c’est-à-dire, les fausses démocraties qui sont en fait des dictatures avec élections fraudées et aux résultats inversés. Dans ce cas, ma conviction est que la priorité devrait être mise sur un soutien politique très ferme à une qualité technique indiscutable des processus électoraux. Cette qualité technique est concrètement observable et évaluable, mais, ce qui manque surtout c’est la volonté politique chez les arbitres potentiels d’être fermes en cas de manquement. Le rapport de force continental entre dictatures et démocraties intervient à ce niveau, dans la motivation des acteurs internationaux et africains à agir ou pas.

Une relance de la démocratisation passerait aussi par la remise en cause du fonctionnement de l’Union européenne, de l’Union africaine et des Nations-Unies dans le domaine électoral, et de leurs relations. Il est préférable de constater l’échec de la période précédente pour repartir. Le métier de diplomate impose de ne pas mal parler de son interlocuteur pour garder un dialogue ouvert, donc de ne pas dire que des dictatures sont des dictatures, ou de ne pas dire qu’une élection ne vaut rien et a renforcé une dictature. Au-delà du néocolonialisme par exemple français, la dépendance des uns et des autres, financière ou politique, mais aussi les réactions de violence face à l’oppression, ont sans doute poussé à reprendre ce mode de discours de description biaisé des régimes politiques criminels, ce qui a ajouté à la confusion.

Tant que l’Union africaine est une coquille vide et un outil instrumentalisé, cela complique aussi les choses. L’enjeu de la construction des institutions supranationales africaines accompagne l’enjeu de la démocratisation continentale. L’Afrique de l’Ouest et australe, plus démocratiques, progressent. Géopolitiquement, l’Afrique bien définissable géographiquement, est une abstraction, une réalité relative. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Est sont très connectées au Moyen-Orient. Si l’Afrique se voit dans le monde, on comprend que dans une étape ultérieure, il pourra aussi être question de la démocratisation du monde. En pratique, aujourd’hui, un pays comme Djibouti a déjà du mal à se démocratiser parce que son dictateur place de plus en plus le pays dans la géopolitique du Moyen-Orient et dans une moindre mesure de l’Asie.

Etre optimiste ou pas, c’est aussi une question de caractère personnel. Plutôt que de prévoir des perspectives au-delà des 5 années à venir, il semble plus utile de ce concentrer sur des actions pragmatiques, des étapes à franchir, au niveau national comme supranational, qui, si elles sont franchies, révéleront de nouvelles perspectives.

4- Et une dernière question, est-ce que le cas de la Gambie vient troubler totalement vos tableaux ? Un dictateur qui perd, reconnaît sa défaite et après, tente de reprendre la situation en main…. du jamais vu tout de même.

Le processus électoral de la présidentielle gambienne, pour l’instant en l’absence de violence, est évidemment intéressant parce qu’il permet de parler de la règle des élections en dictature. La ‘règle’ est qu’il ne s’observe pas d’élection correcte en dictature sans une transition vers la démocratie préalable. La règle est mise en évidence par les exceptions dont j’ai parlé dans le précédent article de Tribune d’Afrique sur la Gambie, les exceptions au Ghana en 2000 et au Kenya en 2002 liées aux limitations du nombre de mandats dans les constitutions et tous les cas qui ressemblent à des exceptions mais qui n’en sont pas.

L’absence de processus électoraux corrects est un des critères principaux de distinction des dictatures. Entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 2015, il y a eu 499 présidentielles et législatives en Afrique : 220 correctes, 17 douteuses, 262 mascarades. Quasiment tous les processus électoraux ‘mascarade’ sont advenus en dictature, 222 sur 262, alors que 141 processus électoraux corrects sur 220 sont advenus en régime de démocratie bien établi. Parler de ce bilan, quelque part un peu ‘normal’ si on reconnaît que la démocratisation du continent est progressive, c’est surtout pour trouver des solutions et sortir des mensonges et des cercles vicieux, dont le cercle vicieux, de l’élection au résultat inversé, suivi de répression, puis d’impunité, suivi d’un autre élection au résultat inversé, etc.. qui est violent et traumatisant.

Si un pays sort de la dictature, on voit une fin évidente du régime, que ce soit dans une défaite électorale, dans une transition vers la démocratie, la mort d’un chef d’Etat, de l’instabilité du gouvernement lié à une guerre ou à un coup d’Etat. Cela ne se passe pas facilement, dans le temps, l’élection n’est souvent qu’une étape, dans l’espace, les relations avec d’autres pays jouent. Dans le cas de la Gambie, c’est évidemment le Sénégal qui pèse. Si la situation se bloque à l’étape d’un conflit, il y a une possibilité de gel de cette situation par de l’influence extérieure, comme les médicaments qui maintiennent en état sans guérir. Ou alors, en raison du principe de souveraineté, comme au Burundi, la dictature est plus forte et la population continue de fuir.

C’est là tout de même que l’on comprend que constamment le contexte international et africain évolue et amène régulièrement quelques surprises. Chaque nouvelle crise est l’occasion de faire bouger des lignes, même si cela ne se voit pas toujours. Cela discute derrière les rideaux. Il est parfois possible de prendre un peu d’avance sur les mouvements futurs prévisibles. L’Union africaine ne sort pas indemne d’une année à 4 ou 5 coups d’Etat électoraux qui se termine avec des pays en crises instables.

L’absence de démocratie devient la cause évidente des maux, et la « théorie de la stabilité en dictature » n’est plus à la mode. Au-delà de la morale politique, pour la lutte sur le climat, pour une solution commune entre Afrique et Europe sur les migrations, pour la cohabitation des générations, pour les affaires et le commerce, les dictatures sont de plus en plus dépassées, vue comme des freins. La banqueroute de l’Etat tchadien alors que son président essayait de briller en fin de carrière n’a pas échappé aux observateurs attentifs. L’Union africaine ne restera pas toujours ce syndicat de dictateurs correspondant à 25 ans de dictatures majoritaires en Afrique, et elle le sait déjà. Certains essaieront de prendre un peu d’avance sur les mutations inévitables et d’autres lutteront à contre-courant de l’histoire.

Régis Marzin

Paris, 18 décembre 2016