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Gabon : la réaction internationale et africaine à la tentative de coup d’Etat électoral

14 septembre 2016

La réaction internationale et africaine à la tentative de coup d’Etat électoral au Gabon :

impuissance, théâtralité, influence douce et/ou arbitrage international ferme

Régis Marzin, Regard * Excentrique, 14 septembre 2016

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Si le reste de l’Afrique n’a pas totalement compris la nuance entre choix d’un leader et rejet définitif de la dictature au Gabon, il est peut-être aussi persuadé que les puissances influentes en Afrique, l’Ue, les gouvernements français ou américains, n’agissent que par intérêt et sans aucune vision géopolitique à grande et échelle et à long terme, et que, par conséquent, la démocratie n’est voulue que par la population gabonaise. L’évolution de la position de la communauté internationale après les coups d’Etats électoraux au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad, est nettement visible au Gabon, mais les raisons potentielles de ce changement de position de la communauté internationale puis de position de l’Union africaine, difficilement assumables par les acteurs eux-mêmes, sont encore moins comprises. Pourtant, même, s’il n’y a aucune certitude sur la suite de la crise au Gabon, si la réaction internationale est différente de celle qu’elle a été face aux coups d’Etat électoraux au Congo Brazzaville, au Tchad, et à Djibouti, des raisons peuvent déjà être identifiées.

En supposant qu’il y ait une véritable volonté internationale derrière la diversité des acteurs, alors que débute l’ « exercice » de la Cour constitutionnelle à Libreville, présidée par la redoutable Marie-Madeleine Mborantsuo, déjà chef d’orchestre du coup d’Etat électoral de 2009, un doute apparaît également sur la capacité de la communauté internationale et africaine, l’ONU, l’Ue, l’Ua et l’OIF, d’empêcher concrètement la Cour constitutionnelle de poursuivre le Coup d’Etat électoral et d’essayer de le terminer, comme en 2009. Le lundi 12 septembre, selon RFI, pour Marie-Madeleine Mborantsuo, il n’était « pas question d’observateurs de l’UE dans sa Cour. La pratique ne serait pas légale. Au mieux, … des huissiers gabonais pourraient suivre le processus de décision de la Cour. ». Le conflit électoral se prolonge cette semaine autour de la question de la surveillance et du contrôle international des travaux de la Cour.

Le 14 septembre, après l’annonce d’un rapide dépôt de dossier d’Ali Bongo, la « demande reconventionnelle », qui comporterait « 297 procès verbaux du Haut-Ogooué », l’opposition peut craindre que ce dossier ne comporte de très nombreux nouveaux faux Procès verbaux qui seront différents de ceux qu’elle possède, dont l’Ue a obtenu copie. Le 13 septembre, la plate-forme de la société civile gabonaise présidée par Georges Bruno Ngoussi (Réseau des organisations libres pour la bonne gouvernance au Gabon (ROLBG), Collectif du 12.12.15, Femme lève-toi, Dynamique unitaire, Front des indignés, Brainforest, le Club 90, Etudiants conscients, Ça suffit comme ça, Témoins actifs et Sojecs ) a transmis un mémorandum de sortie de crise aux acteurs de la communauté internationale, lui demandant d’ « assurer et superviser » « le processus de comptage des voix bureau de vote par bureau de vote en collaboration avec la Cour constitutionnelle et les représentants de chaque candidat ».

Les vendredi 9, samedi 10, dimanche 11, les déclarations internationales se sont succédé pour mettre la pression sur la Cour constitutionnelle et Ali Bongo. Le vendredi, pour l’ONU, Aboulaye Bathily a demandé un « examen transparent, juste et équitable » des recours. Le Ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, a, lui, demandé que « les contestations soient examinées avec transparence et impartialité » par la Cour constitutionnelle. Sur la BBC, Smaïl Chergui, commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’UA, a déclaré que le recomptage était une « orientation saine », précisant que l’ONU et l’UA accompagneraient l’exercice de la Cour constitutionnelle pour le « crédibiliser » et le rendre « transparent ». Le samedi, le Secrétaire adjoint des Nations-Unies chargé des affaires politiques, Jeffrey Feltman a déclaré: « Le recours à la Cour constitutionnelle est un développement important pour surmonter la crise … Le processus constitutionnel doit être crédible – et doit être reconnu par tous comme crédible – afin d’être efficace », évoquant aussi « le déploiement éventuel d’une mission conjointe de haut niveau ». Le dimanche, le SEAE de l’Ue a demandé « la transparence et l’objectivité » de la Cour constitutionnelle, en soutenant l’intervention des envoyés de l’UE, de l’ONU et de l’OIF.

La modification de l’approche internationale a sans doute démarré le 16 août. Onze jours avant le scrutin, la création d’une coalition comprenant les 3 principaux leaders de l’opposition a semble-t-il bouleversé cette approche. La communauté internationale semble en général réticente à agir au niveau des processus électoraux quand le rapport de force est, selon ses propres critères, ‘défavorable’ à l’opposition, parce que l’action extérieure pourrait prolonger le conflit et alors provoquer des victimes supplémentaires. La priorité de la communauté internationale au complet, y compris l’Onu, reste de limiter le nombre de victimes des crises, quand intervient, en droit, la Responsabilité de protéger, qui s’oppose au principe de souveraineté étatique. Dans le cas d’une opposition visiblement majoritaire au niveau électoral, comme ce fût le cas au Gabon entre le 16 et le 27 août, la perspective d’avoir à agir selon la Responsabilité de protéger peut pousser, entre autres causes, à inverser l’objectif des acteurs internationaux, dans le sens d’une accélération de la résolution de la crise au profit du vainqueur véritable, et non pas de l’étouffement du coup d’Etat électoral, comme ce fut le cas cette année au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad.

Ce renversement de point de vue impacte fortement les Nations-Unies et le Conseil de sécurité, qui renvoie pour la résolution de la crise aux principes de subsidiarité (action au niveau inférieur en priorité) et complémentarité (processus consultatif de prise de décisions et respect des processus régionaux). Les Nations-Unies renvoient les décisions en première approche vers l’Union africaine, à partir du moment où la CEEAC ne réagit pas. Dans le cas du Gabon, la CEEAC a des raisons de ne pas avoir de position commune. L’Union européenne qui intervient par sa mission d’observation (MOE-UE) est, selon les mêmes principes, invitée à laisser la priorité décisionnelle à l’Union africaine, dans un dialogue. Par ailleurs, il y a eu accord entre Ue et Etat gabonais sur la venue de la MOE-UE. Ali Bongo a accepté la MOE-UE au printemps, alors que son opposition était désunie autour de 3 grands candidats et qu’il pouvait envisager que cette MOE-UE n’arriverait pas à agir contre les fraudes dans le cas de 4 candidats importants au lieu de 2. Les Etats membres de l’UE, dont la France, sont eux invités à agir au travers de l’Ue qui renvoie à l’Ua pour les décisions. Les diplomates de la Francophonie (OIF) s’ajoutent par ailleurs, et accompagnent les diplomates de l’UA et de l’Onu.

Ce réseau de relation activé en cas de crise implique que la crise gabonaise impacte fortement la relation Ue-Ua : la politique de soutien européenne à la démocratie en Afrique est en échec, y compris dans l’utilisation du Fond européen de développement en lien avec l’Accord de Cotonou, et cet échec est d’autant plus visible que viennent de se dérouler en Afrique 3 coups d’Etats électoraux très visibles (Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad), après, par ailleurs, les nombreux échecs de l’Ue au Togo. La caractéristique de la tentative de coup d’Etat électoral en cours au Gabon est que celle-ci n’a pas réussi à cacher les fraudes et la méthode d’inversion du résultat, ce qui à mis le projecteur sur le processus électoral d’un point de vue technique, sous les yeux de la MOE-UE.

La non-prise en compte des processus électoraux d’un point de vue technique au Togo en 2015, au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad en 2016 a indirectement montré que la communauté internationale et africaine ne tenait pas compte de la qualité des processus électoraux. Les populations africaines observent un mépris évident des instances internationales vis-à-vis des abus de pouvoir des dictateurs africains dans les élections. Plus les occurrences sont nombreuses, plus le mécontentement des peuples est susceptible de perturber la relation entre l’Union européenne et les Etats africains à plus long terme. L’équilibre n’est pas stable, d’autant plus que le nombre de dictatures et de démocraties en Afrique est pour l’instant à l’équilibre, 22 contre 22, mais ne devrait pas le rester longtemps, car certains dictateurs finiront par tomber.

A moyen terme, la qualité des processus électoraux en Afrique devrait devenir un enjeu international, après la question des limitations du nombre de mandats présidentiels dans les constitutions, en raison de la gestion internationale des crises, après la prise en compte de la nécessité d’empêcher les coups d’Etat militaire. La publication des Procès verbaux bureau de vote par bureau de vote, exigée à Djibouti par l’Ue pour les législatives de 2013 mais jamais obtenue, recommandée avec insistance à la communauté internationale pour toutes les élections en dictatures en 2016 par le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique (à Paris), est devenu un élément fédérateur des exigences des acteurs internationaux au Gabon (Ue, France, USA, UA, ONU). Ayant son expertise électorale en Afrique, au travers du FED et des missions d’observation, l’Ue est poussée à ne pas laisser la situation s’aggraver, donc à échanger avec l’Union africaine.

En outre, la crise gabonaise tombe exactement au moment du dialogue national à Kinshasa. L’enjeu de la crise électorale en RDC est largement supérieur à l’enjeu de la crise gabonaise. La communauté internationale a investi depuis les années 90 dans la sortie de la guerre en RDC des moyens considérables. La gestion sécuritaire en RDC a pour caractéristique d’être cohérente avec les aspects politiques transparents. En RDC, comme en Centrafrique en 2014 et 2015, la communauté internationale favorise une démocratisation, la construction d’une légitimité démocratique du pouvoir et d’un Etat de droit. Après les coups d’Etat électoraux au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Tchad, en mars et avril, la focalisation sur la gestion de la situation en RDC est visible, surtout depuis le début de l’été 2016.

Le dictateur Ali Bongo a positionné le scrutin ‘trop tard’ en 2016 et se retrouve associé au calendrier congolais. En outre, même si elle n’a pas eu de volonté de le faire, il apparaît sans doute que la communauté internationale et africaine aurait été incapable de s’investir sur 3 crises énergivores en même-temps au printemps, au Congo-Brazzaville, au Tchad et à Djibouti. En septembre 2016, la crise électorale gabonaise est la seule, ce qui permet au débat sur le processus électoral d’un point de vue technique de se dérouler en impliquant tous les acteurs concernés.

La gestion de la crise à Kinshasa impose un contrôle international du président sortant Joseph Kabila pour qu’il ne s’impose pas par la force comme Pierre Nkuruziza au Burundi et Sassou Nguesso au Congo Brazzaville. Une partie des interlocuteurs sur ces deux crises sont les mêmes : par exemple, Aboulaye Bathily pour l’ONU au Gabon, était déjà l’un des interlocuteurs de l’Onu sur les constitutions dans les Grands lacs. Le gouvernement américain est cohérent entre position au Gabon et position en RDC. La crise congolaise met l’accent sur la qualité du processus électoral dont chaque point est discuté et médiatisé. Ainsi, crise gabonaise et congolaise mettent toutes les deux l’accent sur la qualité technique du processus électoral. Une fois un arbitrage international mis en place, il doit aller jusqu’au bout de sa logique en satisfaisant les acteurs. Une fois cet engrenage en place, il est difficile de ne pas entendre les volontés populaires exprimées dans les votes, dans les deux pays.

Le processus de démocratisation de l’Afrique entamé en 1990 ne peut se poursuivre que par l’Afrique centrale. Si ce processus arrêté entre 2005 et 2014 ne reprend pas correctement, les conflits de pouvoir électoraux en Afrique vont se multiplier et propager une instabilité. En attendant peut-être la RDC en 2017, le Gabon est en Afrique centrale le seul pays qui, depuis l’alliance du 16 août 2016, peut se démocratiser à court terme. L’avenir du Gabon et du Congo Kinshasa peut influencer et déterminer positivement l’évolution du Congo Brazzaville, de la Guinée Equatoriale, du Cameroun, du Tchad, 4 pays aux dictateurs vieillissants, qui traverseront eux-aussi des crises en raison de la longévité anormale de leurs chefs d’Etat. La communauté internationale est poussée à choisir, ou au moins à réfléchir, si elle laisse ‘pourrir’ l’Afrique centrale ou s’il elle l’accompagne dans une potentielle transition démocratique régionale.

Les dictateurs africains ont pu penser que les présidentielles en France et aux USA feraient que ces pays ne s’occuperaient pas des processus électoraux conflictuels en RDC et au Gabon. Mais l’enjeu est trop grand pour que les changements d’exécutif en France et aux USA limitent les réactions très largement prise en charge par l’Onu, l’Ua et l’Ue. En France, le Parti Socialiste est divisé sur la politique africaine du gouvernement. L’influence excessive de l’armée française sur la politique de Laurent Fabius et François Hollande a été analysée et son impact évalué. Le PS arrive en période électorale, allant vers des alliances potentielles et, éventuellement, quelques promesses rationnellement cohérentes. Par ailleurs, le Gabon remet facilement sur le devant de la scène les aspects dérangeant de la fin de la Françafrique médiatiquement sensibles.

Ces considérations ne permettent pas de deviner comment va tourner la situation au Gabon : comment la Cour constitutionnelle va-t-elle agir, en s’opposant ou en participant au coup d’Etat électoral d’Ali Bongo ? La communauté internationale et africaine est évidemment en difficulté face au principe de souveraineté dans un pays aux mains de voleurs et de fraudeurs, et sa volonté reste contrainte par un contexte géopolitique aux multiples paramètres. Le paramètre le plus contraignant est la présence plus ou moins proche des autres dictateurs africains dans le conflit, en particulier Idriss Déby, comme président de l’Ua. L’évolution de la relation Ue-Ua, sachant que l’Ua est en partie financée par l’Ue, n’est sans doute envisagée qu’avec des précautions, sans exigence européenne trop forte ou trop rapide.

A ce stade, aujourd’hui 14 septembre, ce qui compte, c’est la situation sur le terrain, en pratique, au milieu des soldats de la Garde présidentielle qui gardent et impressionnent la Cour constitutionnelle. Le 13 septembre, devant le Parlement européen en débat sur le Gabon, Mariya Gabriel, chef de la MOE-UE a indiqué : « Nous continuons à être guidés par l’exigence de la transparence à toutes les étapes du processus électoral. Nous appelons tous les acteurs à s’en tenir à des recours légaux et pacifiques. Cela inclut aujourd’hui l’observation du traitement des recours déposés à la Cour constitutionnelle. C’est une phase clé du processus électoral et nous attendons que l’accès de notre expert juridique aux travaux de la Cour soit garanti, tout comme la sécurité des membres de l’équipe qui sont encore sur place. L’accès d’experts internationaux à la Cour est bienvenu aussi. » Federica Mogherini a, elle, ajouté que « nous (le SEAE) regarderons ce qui se passe et suivront et monitorerons la situation dans ces heures et jours critiques avec des précautions extrêmes ».

Le 9 septembre, Jean Ping, devant ses militants, a indiqué : « Il ne fait aucun doute qu’en cas de non-respect de la réalité du vote des gabonais par la Cour constitutionnelle, le peuple, qui n’aurait dans ce cas plus rien à perdre (…) prendra son destin en mains ». Dans le cas contraire, en cas de défaite du dictateur reconnue par la Cour constitutionnelle, Ali Bongo et ses troupes les plus armées accepteront-t-elles de laisser place nette ?

La crise gabonaise illustre l’évolution du fonctionnement des acteurs de la communauté internationale et africaine dans la résolution des crises, avec un effort supplémentaire inédit dans le domaine des processus électoraux. Elle permet également d’observer la puissance de l’« influence douce et large » européenne, un ‘soft power’, dont l’efficacité a été pour l’instant régulièrement mise en cause au cours du processus de démocratisation du continent africain quasiment arrêté depuis 2005.

Régis Marzin, Paris, 14 septembre 2016

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