Élections et classification des régimes politiques en Afrique
Élections et classification des régimes politiques en Afrique
Régis Marzin, 22 mai 2022
Twitter : @Regis_Marzin .
Régis Marzin, journaliste et chercheur indépendant, basé à Paris, travaillant depuis une douzaine d’années sur les élections en Afrique et proposant depuis 2017 un classement des régimes politiques en Afrique orienté sur une prise en compte de la valeur démocratique ou non des processus électoraux et utilisé dans un bilan annuel des élections en Afrique.
Dès que l’on s’intéresse à une ou des élections en Afrique, la question qui vient très vite, c’est de savoir si la démocratie est présente avant le démarrage de l’organisation du ou des votes et si cette démocratie est suffisante pour rendre possible une alternance, ou si, au contraire, aucune alternance n’est possible parce que le contexte d’organisation du ou des votes n’est pas démocratique. Une étude plus approfondie peut amener alors à chercher une liste des pays avec une démocratie incontestée prouvée par des alternances et une autre liste de pays sans alternance sur lesquels des faits indiquent qu’aucune alternance n’est possible. Beaucoup d’autres pays d’Afrique, seront alors perçus comme intermédiaires ou plus compliqués à classer. Intuitivement, il semble possible de classer les pays selon un niveau de démocratie en rapport avec les élections, pour tenter de faire des prévisions sur la qualité des élections. Classer des pays sur des périodes revient à classer des régimes politiques, pendant lesquels des acteurs de gouvernement sont présents. Prévoir la qualité des processus électoraux, analyser ces processus électoraux et vouloir les améliorer, fournit une des premières raisons de vouloir classer les régimes politiques en Afrique.
Utilité du classement des régimes politiques en Afrique
Parmi les raisons de vouloir disposer d’un classement des régimes politiques en Afrique, il y a l’idée de l’utiliser pour mieux visualiser l’histoire d’un processus de démocratisation à l’échelle d’un continent. Pourquoi en Afrique plus que dans un autre continent ? Au moins, deux grandes dates sont connues dans l’histoire de la démocratisation de l’Afrique : 1960 pour la vague principale de décolonisation et de diffusion du suffrage universel, pas seulement masculin comme avant, et 1990 pour une vague de retour au multipartisme. Il est intéressant de vouloir visualiser historiquement le processus de démocratisation à l’échelle du continent africain parce ce processus fonctionne selon des vagues à l’échelle d’un continent, vagues qui dépasse les échelles nationales, et qu’à partir de ces vagues se constatent des réussites et des échecs. La décolonisation et la guerre froide conduisent dans les années 70 et 80 à l’établissement de régimes civils en monopartisme, de régimes militaires, de pays en multipartisme sans démocratie véritable et de rares régimes démocratiques. Puis après la fin de la guerre froide, quelques années après un redémarrage du multipartisme dans 36 pays, se constate un échec de la démocratisation dans une partie des pays concernés. Ce n’est qu’une fois le retour au multipartisme digéré après au moins deux cycles électoraux, au moins 10 ans, que la question de réalité de la démocratie dans les élections concurrentielles se pose, donc à partir de 2000 surtout. Un classement historique des régimes politiques peut permettre de revisiter une histoire continentale en faisant un lien avec la période de la guerre froide et en envisageant que beaucoup d’éléments dans la situation actuelle se déterminent entre 1990 et 1994 au moment du retour du multipartisme dans 36 pays.
La démocratie ‘électorale’ en Afrique ne date pas de la décolonisation. Vingt-deux pays en Afrique, vingt-et-un colonisés et un indépendant, ont connu des élections avant la fin de la seconde guerre mondiale en 1945 : Sierra Leone (1792-1799, puis 1895), Afrique du Sud (1837), Liberia (1840, un pays indépendant), Sénégal (1848), Algérie (1848), Égypte (1883), Île Maurice (1886), Tunisie (1896), Rhodésie du Sud – futur Zimbabwe (1899), Angola, Cap-Vert, Guinée (Bissau), Mozambique et Sao Tomé-et-Principe (les 5 en 1919), Kenya (1920), Nigéria (1920), Rhodésie du Nord – future Zambie (1921), Bechuanaland – futur Botswana (1921), Swaziland (1921), Côte-de-l’Or – futur Ghana (1925), Dahomey – futur Bénin, Afrique Sud-Ouest – future Namibie (1926). Peu des trajectoires sont démocratiques. La question principale est celle du type de suffrage et de la population acceptée pour le vote, les hommes, les riches parfois au travers du suffrage censitaire, les populations des villes, les européens et pas les africains, plus rarement selon la religion. Les discriminations sont telles que cela semble hors de l’histoire de l’Afrique. Avant le suffrage universel et le vote des femmes, la première expérience à grande échelle de vote masculin complet et d’une forme de démocratie véritable sans les femmes, date de 1923, en Égypte. L’expérience la plus ancienne est celles des anciens esclaves revenus d’Amérique à Freetown en Sierra Leone entre 1792 et 1799. En excluant cette expérience précoce, les élections arrivent en Afrique en 2 phases. La première phase se situe au XIXe siècle entre 1837 et 1899 et touche 9 pays. La seconde très rapide, de 1918 à 1926, concerne 13 pays très regroupés, 7 colonies britanniques, 5 colonies portugaises et une colonie française. Une nouvelle phase se déroule entre 1945 et 1960, le nouvel équilibre géopolitique mondial commençant à pousser à la consultation des populations colonisées. Le suffrage universel, c’est-à-dire féminin et masculin, arrive rapidement pendant cette période au travers de l’ouverture du vote aux femmes surtout. La période de la guerre froide entre 1960 à 1990 correspond à un reflux de la démocratie, au travers du monopartisme et des régimes militaires. En 1989, il ne reste que trois régimes démocratiques, le Botswana, l’Île Maurice et la Gambie.
Ensuite, après 1990, l’histoire avance par à-coup, d’abord entre 1990 et 1994 par une phase de démocratisation, suivie entre 1996 et 1999 d’un reflux, puis entre 1999 et 2006 par une reprise de la démocratisation, suivie depuis 2007 par une stagnation fluctuante. Décrire l’histoire serait facilité par une sorte de démonstration faite en évaluant le niveau démocratique des États depuis 1990. Le sujet est polémique, les États qui se voient souverains s’estiment seuls en droit de s’évaluer et certains pensent nécessaire de contrôler les jugements historiques. Depuis 1990, l’histoire politique de l’Afrique a des difficultés à s’écrire. Quelque chose s’est passé entre 1990 et 1994 n’est pas encore digéré intellectuellement. Il semble que depuis cette période la bifurcation entre un chemin des élections avec démocratie et le chemin des élections sans démocratie n’est pas correctement décrit.
Dans l’histoire des élections en Afrique après 1990, une tendance importante se dégage, l’avance de démocratisation de l’Afrique ‘anglophone’ sur le reste de l’Afrique, entre la fin des années 80 et 2006. Cette avance démocratique des anciennes colonies britanniques ou de l’Afrique anglophone avec en plus la Namibie et le Libéria, sur l’Afrique francophone, qui s’affiche pendant la seconde phase de démocratisation après 1990 entre 1999 et 2005 est due à de nombreux facteurs, dont, entre autres, l’absence de groupe important issus des partis uniques des années 80 comme en Afrique francophone (se maintenant seulement la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya jusqu’en 2002), le pôle de 6 pays en démocratie de l’Afrique australe vers 1995 plus solide que le pôle d’Afrique de l’Ouest Bénin-Niger-Mali en régression vers 1996 1997 quand survient aussi la disparition de la démocratie au Congo Brazzaville en 1997 et que disparaît alors momentanément la démocratie dans l’ensemble des anciennes colonies françaises, au centre de ce pôle d’Afrique australe, un passage du multipartisme en apartheid au suffrage universel en Afrique du Sud et en Namibie qui est une bascule plus irréversible que l’évolution du suffrage universel en monopartisme au multipartisme ailleurs, les calendriers électoraux regroupant législatives et présidentielles dans beaucoup plus de pays, des commissions électorales plus rapidement permanentes et donnant plus de place à des juges, une gestion de contentieux électoral moins soumis au pouvoir exécutif que les cours ou conseils constitutionnels très souvent proches des présidents ailleurs.
Dans les autres raisons de vouloir disposer d’un classement d’un régime, il y a le souhait de pouvoir parler des conséquences d’une collaboration avec des pouvoirs en positif ou en négatif. Au cas par cas, cela donne les exemples suivants : quand l’Union européenne décide de fournir une aide à l’Érythrée, cette position est critiquée. Quand l’État français multiplie les actes favorables au régime égyptien du général Sissi et continue de lui vendre des armes, les critiques des journalistes et des associations de droits humains explosent. Le régime érythréen est une dictature totalitaire, et, le régime égyptien est sans doute celui qui emprisonne le plus et réprime le plus les libertés actuellement. Quand la Tunisie ou la Gambie se débarrasse d’un dictateur notoire, les diplomates affichent leur soutien à une démocratie nommée comme telle. Parfois, cela se complique : quand en 2016, une mission d’observation électorale européenne récolte des preuves d’une inversion de résultat de présidentielle à la compilation des résultats nationaux et à l’annonce officielle, au Gabon, des discussions selon l’accord de Cotonou sont enclenchées puis neutralisées et les critiques reprennent. Une autre question qui se pose est de savoir si le maintien d’une grande quantité de régimes non démocratiques basés sur une falsification électorale dans les anciennes colonies françaises est au centre du maintien d’un réseau d’acteurs entre la France et l’Afrique, au cœur d’une Françafrique, vieillissante mais toujours présente. Les élections en régime non démocratiques génèrent de la corruption de journalistes et de politiciens en Europe, surtout en France, qui complique l’écriture de l’histoire africaine et détériore la vie politique européenne et surtout française.
Des questions étudiées concernant les processus électoraux sont susceptibles d’être traitées en considérant le contexte du processus électoral, plus ou moins démocratique en amont. Ce sont des questions comme : Dans quelle mesure la biométrie électorale permet d’améliorer des processus électoraux ? Pourquoi permet-elle des avancées dans des pays comme le Ghana et le Nigéria mais presque pas au Togo ou au Gabon ? Quelle est l’efficacité et l’utilité des missions d’observation électorale de l’Ue ? Dans quel pays est-il utile pour l’Ue de proposer une mission d’observation ? Peut-on prévoir le rôle d’une mission d’observation avant son envoi ? Pour constater les méthodes de détournement du processus électoral ou aider à faire avancer des réformes nécessaires ou aider au maintien de la paix ? En disposant d’un classement des régimes, certaines causes-conséquences deviennent évidentes, à condition aussi de sortir le discours d’un enrobage diplomatique, par ailleurs sans doute nécessaire.
Les missions d’observations européennes, les MOE-UE, ont commencé en 1993 en Russie puis en 1994 en Afrique. En 2018, les MOE-UE en Afrique constituaient 45% d’entre elles. De 1994 à avril 2018, grâce à 80 MOE-UE, en Afrique, les processus électoraux de 130 élections ont été observés pour 58 présidentielles et 3 élections de chef de l’exécutif par un parlement, 56 législatives, 10 locales-municipales, provinciale ou élections d’États fédérés et 3 référendums dans 36 pays. Sur 80 MOE-UE, 23 sont arrivées dans des pays en démocratie[1], souvent fragiles sans doute pour chercher à améliorer les processus électoraux, 33 dans des pays dans un processus de ‘transition vers la démocratie’ avérée ou en instabilité de guerre, de suite de guerre, de suite de coup d’état ou de génocide, et 24 dans des régimes clairement antidémocratiques. Dans ces derniers pays, les MOE-UE n’ont pas empêché les détournements des processus électoraux, elles les ont juste observés. La seule exception est la MOE-UE du Kenya en 2002, qui a participé à faire des élections une exception dans la sortie d’une continuité avec le régime d’un ancien parti unique. Les 23 autres missions n’ont pas eu d’effets notables, mais elles ont pu empêcher la situation d’empirer dans certains pays, peut-être au Mozambique, au Soudan, et en Angola. Deux processus électoraux de présidentielle boycottée ont même été observés, ce qui n’a pas beaucoup de sens, au Congo Brazzaville en 2002 et au Soudan en 2010. Les MOE-UE ont pu observer 2 inversions de résultats de présidentielle à la compilation des résultats nationaux et à la publication officielle des résultats, en 1998 au Togo et en 2016 au Gabon, mais l’UE en a en réalité observé trois puisqu’elle avait une Mission d’expertise électorale au Tchad en 2016 qui a constaté une inversion sans qu’un rapport officiel ne soit publié et sans que cela n’apparaisse publiquement. L’inversion du résultat du Gabon en 2016 a été la première inversion de résultat très bien observée par l’Ue, ce qui a provoqué ensuite une tension diplomatique en raison de l’application del’accord de Cotonou, de manière finalement ensuite limitée. La grande majorité des processus électoraux détournés en amont observée par l’UE n’aboutissent pas à un déclenchement d’une procédure selon l’Accord de Cotonou et à des sanctions. Les missions d’observations ne sont acceptées que si le pouvoir ne craint pas d’être dérangé, et, ce qui reste de dérangeant est le plus souvent neutralisé. En pratique, les MOE-UE peuvent être instrumentalisées pour internationalement donner une image d’effort ou réduire le détournement à un conflit entre deux parties, alors qu’il ne s’agit que du théâtre de la fausse démocratie. Plus généralement, les MOE-UE, parce qu’elles sont les seules correctement organisées, donnent sur l’Afrique l’image de processus électoraux déficients sur des questions techniques alors que le problème le plus grave n’est pas là, alors que des dirigeants, identifiés, n’acceptent pas la démocratie et simulent celle-ci. Comme il a été constaté au Togo à partir de 2010, l’Ue est conscient de l’instrumentalisation, de la manipulation pour faire de l’observation le contraire de ce qu’elle est censée être. Avec les échecs qui s’accumulent, le constat d’une certaine hypocrisie augmente sans doute la frustration des parlementaires européens, qui deviennent plus exigeants alors que le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) s’appuyant d’abord sur les décisions des États membres, semble, lui, devenir de moins en moins exigeant.
A défaut de pouvoir agir là où la démocratie est simulée, les MOE-UE se sont montrées très utiles dans des démocraties fragiles qui avaient besoin d’observations bien organisées pour améliorer les processus électoraux. Mais surtout, les missions d’observation européennes jouent pleinement leurs rôles dans le troisième et dernier type de régime, dans les régimes intermédiaires, en ‘transition vers la démocratie’ après la fin d’une dictature ou d’un pouvoir militaire, en instabilité de gouvernement à la suite de guerres ou de coup d’État. 33 MOE-UE ont été organisées dans ce cas pour observer 48 scrutins. En particulier, 13 MOE-UE ont été organisées dans des transitions de dictature ou d’un court régime militaire vers la démocratie, et, dans 16 cas sur 18, les processus électoraux se sont alors avérés corrects. Six pays ont bénéficié des services d’observation européens au cours de transitions réussies, le Nigéria en 1999, Madagascar en 2002 et 2013, la Mauritanie en 2006 et 2007, la Tunisie en 2011 et 2015, le Burkina Faso en 2015 et la Gambie en 2017. Au Libéria en 2005, au Mali en 2013, au Kenya en 2013, les MOE-UE ont aussi aidé à retourner vers la démocratie. Les missions d’observations sont particulièrement efficaces en cas d’absence de pouvoir sortant lors des ‘transitions vers la démocratie’ réelles, c’est-à-dire qui sont débarrassées d’un pouvoir résistant aux règles du jeu de la démocratie. A la suite de guerres, même dans les cas où les processus électoraux ont été détournés au Mozambique 1999, 2003 et 2004, en RDC 2006 et en Libye en 2012, les MOE-UE ont sans doute limité les conflits. Au Mozambique, l’UE a envoyé des missions à plusieurs reprises, en 1994, en 2003, en 2004, en 2009 et en 2014, répétant régulièrement des recommandations, qui n’ont pas changé fondamentalement la qualité des processus électoraux, parce que depuis la fin de la guerre en 1992, les forces politiques correspondent toujours aux forces armées transformées en partis politique. Si la méthode ne permet pas de sortir d’un blocage et d’aller vers une véritable démocratie, cela signifie qu’indirectement, la mission d’observation électorale est plus utilisée comme outil de maintien de la paix.
A la compréhension de ce bilan, l’efficacité des missions d’observation sérieuses peut être prévu à l’avance en fonction d’un classement de régimes en Afrique. Cependant, ce classement s’il peut être utile n’est pas une nécessité de manière publique, car le choix de continuer à envoyer des missions peu efficaces dans certains cas précis est d’abord un choix de stratégie politique à l’échelle continentale. Sans doute que l’Ue, principal organisateur de missions d’observation sérieuses en Afrique, peut disposer au cas par cas de données qui lui suffisent sans se servir d’un classement, avant d’envoyer des observateurs sur un processus électoral. S’il n’y pas de besoin de classement pour déterminer des critères d’efficacité déjà bien maîtrisés, l’enjeu est-il alors dans la communication de son travail de soutien à la démocratie en Afrique et dans le langage à employer dans le soutien des transitions potentielles vers la démocratie et dans le maintien de la paix ? Ou au contraire, les services européens pensent-ils devoir éviter de trop en dire pour pouvoir continuer d’agir plus facilement ? Au minimum, des citoyen-ne-s européen-ne-s peuvent vouloir savoir quelle est l’efficacité d’un des seuls outils dont dispose l’UE pour soutenir une démocratisation de l’Afrique. S’il est possible de prévoir à l’avance quel sera le rôle d’une mission en fonction du type de régime, cela change la compréhension.
D’une manière plus générale, c’est tout ce qui est soutien à la démocratisation de l’Afrique qui peut être reconsidéré en fonction d’une typologie des régimes politiques. Il est très différent d’aider à la démocratisation de pays peu démocratisés et bloqués, de pays peu démocratisés et déjà clairement débloqués ou d’aider des régimes à maintenir un niveau de démocratie si le choix des dirigeants par la population est déjà assuré mais avec des dérives dans la gestion du gouvernement. Les discours diplomatiques sont tellement épurés des critiques pour permettre du dialogue, qu’il en découle une sorte de confusion et d’hypocrisie. Au niveau européen, les critiques sont concentrées dans le discours des parlementaires qui ne disposent que d’une partie de l’outil des missions d’observations pour agir.
Le classement des régimes associé à un calendrier électoral par exemple sur 5 ans permet d’estimer à l’avance sur plusieurs années les types de processus électoraux attendus en fonction des types de régimes. Il est possible d’anticiper plus ou moins plusieurs types de crises liées aux élections grâce à des paramètres, donc celui du type de régime. Le développement d’une diplomatie préventive en dépend. En conséquence, il serait envisageable de mieux planifier des actions de soutien à la démocratie, des services concernés à l’Ue, l’Ua ou à l’ONU, de prévoir les ressources humaines et financières, même si cela dépend beaucoup des accords diplomatiques et de la souveraineté des États africains. Cette association du classement des régimes et d’un calendrier électoral peut aussi être utile à des chercheurs et à des journalistes.
Un critère de qualité des processus électoraux et un critère de la qualité de régimes peuvent être considérés en parallèle. Ces deux critères sont très cohérents à chaque instant dans chaque pays, même s’il y a beaucoup de régimes intermédiaires, complexes, difficiles à classer en dehors des démocraties bien installées à partir du retour au multipartisme après 1990 et des régimes issus des années 80 persistants dans une opposition à la démocratie. Il est possible d’envisager plusieurs manières de classer les processus électoraux, mais, il est important de tenir compte que des régimes politiques qui n’ont pas accepté les principes de la démocratie ne laissent pas des processus électoraux se retourner contre eux, ne laissent pas une liberté électorale réelle s’établir et construisent une apparence fausse de démocratie. Ainsi, il s’observe une règle qui relie l’impossibilité d’alternance à la qualité non démocratique d’un régime en amont d’un scrutin : aucun régime non démocratique ne laisse s’organiser une élection pour arriver à une défaite : il n’y a que de rares exceptions à cette règle, la dernière en Gambie en 2016, une défaite surprise dans un scrutin utilisant des billes à la place des bulletins. Quand on parle de la Gambie et de la surprise que cela a provoqué et de la réaction de la CEDEAO envoyant une force militaire après le demi-tour de Yayah Jammeh, la règle semble presque évidente.
En disposant d’un classement des régimes adapté à l’Afrique, une fois un classement annuel mis à jour, des prévisions de qualité de processus électoraux s’en déduisent, pour plusieurs années et surtout pour l’année à venir. Dans les pays stables en ‘démocratie’, les processus électoraux (souvent environ la moitié chaque année en général) peuvent être prévus comme ‘corrects’ et il y aura quelques exceptions. En régime stable antidémocratique, les processus électoraux (souvent environ l’autre moitié) peuvent être prévus sans valeur démocratique ou détournés. Les exceptions comme la présidentielle gambienne de 2016, sont rares. Les processus électoraux seront soit ‘globalement détournés en amont’ avec pour principale méthode la désorganisation de l’opposition et la fraude sur le fichier électoral, soit ‘détournés en amont avec boycott de l’opposition véritable’, soit ‘détournés le jour du vote’ avec pour principal méthode le bourrage d’urnes et la falsification des procès-verbaux en clôture des bureaux, soit ‘avec inversion du résultat à la compilation des résultats nationaux et à l’annonce officielle des résultats’ (en aval), soit ‘détournés en mélangeant des méthodes en amont, le jour du vote et en aval’. En régimes instables et de transitions (intermédiaires), les processus électoraux beaucoup moins nombreux, ne sont pas prévisibles avec une règle précise. Seules les données spécifiques aux pays permettent de prévoir la valeur démocratique ou non des processus électoraux, en envisageant aussi des qualités moyennes. Ainsi, en différenciant trois grandes catégories de régimes, la valeur de la grande majorité des processus électoraux de l’année à venir est prévisible, en conservant un classement bipolaire ‘démocratique’ et ‘non démocratique’ avec très peu de cas de qualité intermédiaires. La valeur de la méthode de prévision a pu être testée par l’auteur sur plusieurs années, et elle se montre adaptée à la réalité africaine actuelle.
En Afrique, à l’échelle du continent, l’évolution du nombre d’élections selon leur valeur démocratique ou antidémocratique ne donne pas directement d’indication sur l’évolution des régimes politiques. Des passages en démocratie se déroulent souvent avant des élections. Une évaluation de la quantité de pays ayant franchi un seuil de démocratisation à partir duquel les processus électoraux deviennent consensuels et incontestés, un seuil à partir duquel une démocratie suffisante peut être considérée comme installée, pour mériter le nom de ‘démocratie’ sur le plan électoral, est nécessaire. L’évolution de la quantité de processus électoraux selon leur qualité ne montre pas une démocratisation évidente globale de l’Afrique. La succession des élections donne une impression d’absence de règle, de chaos, de hasard statistique, sans progression vers la démocratie. Pourtant la démocratisation avance rapidement depuis 1990 pendant certaines périodes, 1990-1994, 1999-2006 et 2013-2016, et, un autre critère, celui du nombre de pays où une ‘démocratie’ correcte au niveau électoral est installée l’indique. En effet, il s’observe, une augmentation progressive de pays en ‘démocratie’ installée, correspondant au remplacement des anciens régimes des années 80 non démocratiques par des régimes démocratiques incontestables. Dans les discours africains courants, quand la ‘démocratie’ s’installe, les revendications changent totalement, il n’est plus question de chercher à obtenir la ‘démocratie’ comme quand on avait seulement le multipartisme. En régime non démocratique, par exemple au Togo, un leader démocrate peut affirmer que l’objectif de faire chuter la dictature constitue le principal programme politique de son parti avant des élections et dans ce cas la démocratie est conçue comme le contraire d’un régime dictatorial faisant barrage à tous les progrès, politique comme économique. Si la bascule se fait, une fois un consensus atteint sur la base ‘d’un niveau de démocratie correct atteint pour suivre la volonté de la population sans la contraindre de force et permettre des alternances’, il y a accord sur la règle du jeu et les processus électoraux ne sont plus contestés sauf en cas d’apparition de nouvelles difficultés ou de grave retour en arrière sur le respect des règles de la démocratie. Il peut rester des revendications d’amélioration des processus électoraux par exemple pour mieux fabriquer le fichier électoral en fonction de l’état civil. Après une rupture nette, il y a un effet de seuil de satisfaction sur un niveau de ‘démocratie’ perceptible dans la population et les élites. Cette satisfaction tient compte du bilan global du continent, des pays voisins en particulier et d’une histoire nationale. Un contexte géographique et historique joue dans la perception de la situation politique, les perspectives de progrès envisagées, les objectifs à atteindre.
Les sociétés africaines évoluent très vite depuis le retour du multipartisme en 1990 et il semble qu’elles perçoivent encore beaucoup leurs évolutions depuis des guerres, des régimes militaires et des partis uniques en termes de lutte frontale bipolaire avec des bascules ponctuelles lors d’événements historiques. En régime non démocratique, la lutte pour améliorer la qualité des processus électoraux a parfois autant d’importance que le déroulement final du scrutin s’il est connu d’avance que le pouvoir en place va l’emporter comme chaque fois. Pendant les 30 dernières années, la limitation du nombre de mandats présidentiels a pris une importance essentielle en Afrique, et il est associé à l’idée que l’alternance présidentielle peut prouver la présence de démocratie ou en constitue un élément essentiel. Comme il y a une forte lutte pour le droit à choisir des dirigeants d’un Etat, comme point essentiel de la démocratie, la recherche de la démocratie se concentre sur cet objectif prioritaire. La question de l’approfondissement de la démocratie n’est pas absente, par exemple dans la volonté mise en place d’élections locales, mais cet objectif est le plus souvent passé au second plan. Quelques pays font exception en reprenant des structures traditionnelles locales pour construire des parlements, comme la Somalie et le Somaliland ou encore l’Ouganda avec ces cinq niveaux d’élections locales depuis 2006. Il y a correspondance entre l’idée de la construction des États dans des frontières récentes historiquement, faite de populations parfois diverses au niveau linguistique et focalisation sur les élections nationales et sur le droit de choisir les dirigeants de l’État. Un seuil de consensus se construit autour de l’objectif de possibilité d’alternance qui correspond à une vision de ‘démocratie’ installée à une période donnée.
Principales méthodes de classement des régimes politiques au niveau mondial
En théorie, pour classer, deux principales approches pourraient être utilisées. Une première approche consiste à évaluer sur une période donnée assez précise, par exemple une année, grâce à une analyse détaillée, sans profondeur historique. La cohérence recherchée est plus géographique à un instant donné. Les données sont plus mesurées sur une échelle continue. Cette méthode permet de mieux évaluer un ‘état de droit’ et un état des libertés. Une seconde approche tient compte d’un historique politique d’un Etat. L’historique fait apparaître des périodes qui commencent et peuvent se terminer, par un changement d’état, de nature ou de type de régime, à analyser. La cohérence recherchée est historique et géographique. Les données sont réparties dans des catégories discontinues séparées par des seuils. Par exemple, un niveau de consensus élevé sur la nature démocratique d’un régime permet de passer un seuil à partir duquel un régime est vu dans une période de ‘démocratie’. Cette méthode permet de mieux prendre en compte un facteur de prise de pouvoir et de maintien au pouvoir à partir d’une méthode de prise de pouvoir. Un groupe qui prend le pouvoir par la guerre ou par un coup d’État, ne se positionne pas comme un pouvoir démocratique certifié par les urnes, et des dirigeants issus du monopartisme non plus.
Il y a une histoire de l’évaluation des régimes politique. Elle commence pendant la guerre froide aux États-Unis. A Washington, l’ONG Freedom House, créée en 1941, et Raymond Duncan Gastil, bientôt directeur de l’ONG, commencent à rédiger des rapports à partir de 1972, en présentant un « indice de liberté de la liberté dans le monde ». Le lien entre « liberté » et « démocratie » est, au départ, présenté avec l’idée de dénoncer les régimes communistes. Ces rapports exercent une influence sur la politique américaine. Encore aujourd’hui, l’ONG classe les pays en trois catégories « libre » (Free), « partiellement libre » et « non libre » selon des indices secondaires, « Libertés civiles » et « Droits politiques », qui contient des notes sur les « processus électoraux », « le pluralisme politique et la participation » et « le fonctionnement du gouvernement ». En 2021, pour l’Europe de l’Est seulement, elle complète ce classement par un indice de démocratie qui permet un second classement en 5 catégories, « Démocratie consolidée », « Démocratie semi-consolidée », « Régime transitoire ou hybride », « Régime autoritaire semi-consolidé » et « Régime autoritaire consolidé ». En 2021, en Afrique, seuls cinq pays, le Ghana, le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud et la Tunisie sont vus comme « libres », sachant que les îles ne sont pas prises en compte (Maurice, Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe). Ce classement est peu encourageant pour l’Afrique et sans doute trop lié à une culture politique des États-Unis pour être repris dans les analyses et discours en Afrique.
Mo Ibrahimest un milliardaire anglo-soudanais. Il a créé en 2006 la Fondation Mo Ibrahim qui publie tous les ans son « Indice Ibrahim de la gouvernance en Afrique », à partir d’indice sur 54 pays d’Afrique. Cet indice est construit à partir de 95 indicateurs classés dans quatre catégories, « sécurité et état de droit », « participation et droits humains », « développement économique durable » et « développement humain ». S’éloignant des questions politiques, il tente d’évaluer les droits humains, la corruption, mais aussi l’enseignement et la santé, à partir d’un maximum de données. La Fondation met en avant une évolution chaque année de ces indices depuis 2021 et n’a pas de recul sur les années 90 et 2000. L’indice Mo Ibrahim va au maximum de ce qui est possible pour des chercheurs dans une évaluation à un instant donné sans dimension temporelle. Coupé de la période de la transition du monopartisme au multipartisme de 1990-1994, il donne assez peu d’indications sur la démocratisation de l’Afrique, très dépendante d’événements historiques majeurs plus que de réformes à régime politique plus ou moins constant. Il n’y a pas de classement par niveau des régimes, juste des indices.
Le groupe de chercheurs ‘Economist Intelligence Unit’ (EIU) du groupe de presse économique britannique ‘The Economist Group’, basé à la Cité de Westminster, à Londres, a créé en 2006 un indice de démocratie appliqué au niveau mondial, à partir de 60 critères répartis en cinq catégories, « le processus électoral et le pluralisme », « les libertés civiles », « le fonctionnement du gouvernement », « la participation politique » et « la culture politique ». Les pays sont classés selon quatre types de régime politiques : pleines démocraties (‘full’), démocraties imparfaites (‘Flawed‘), régime hybride ou régime autoritaire. Des rapports ont été publié régulièrement depuis 2007. En 2021, en Afrique, seuls 7 pays sur 43 (sans l’Afrique du Nord), Maurice, le Cap-Vert, le Ghana, le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud et la Tunisie sont vus comme « démocraties » et ce sont exactement les mêmes pays que les pays « libres » de Freedom House avec deux îles en plus. Treize sont vus comme hybrides et 24 autoritaires. La communication est très orientée vers la possibilité d’améliorer les affaires économiques et les rapports plus accessibles et bien diffusés sur internet et connaissent plus de succès que les autres indices.
En dehors du Royaume-Uni, dans le reste de l’Europe, seuls des chercheurs suédois se montrent intéressés. La Suède abrite aussi le V-dem Institute (Varieties of Democracy, V-Dem), basé à l’Université de Göteborg, qui mène ses recherches sur la « mesure » de la démocratie, grâce « à un ensemble de données multidimensionnelles et désagrégées qui reflète la complexité du concept de démocratie en tant que système de gouvernement qui va au-delà de la simple présence d’élections. Le projet V-Dem distingue cinq principes de démocratie de haut niveau : électoral, libéral, participatif, délibératif et égalitaire ». Cette recherche est certainement essentielle à la poursuite de progrès dans des pays déjà en ‘démocratie’. L’institut IDEA, International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA), créé en 1995 et basé, lui, à Stockholm, est une organisation intergouvernementale comprenant 34 États de tous les continents, dont en Afrique, l’Afrique du Sud, le Bénin, le Cap-Vert, le Ghana, l’Île Maurice, la Namibie et la Tunisie. Là aussi, le travail est en anglais. Depuis 2017, l’IDEA propose tous les ans des « Indices de l’état mondial de la démocratie » (‘Global State of Democracy (GSoD) indices’). Les « cinq attributs de la démocratie dans le cadre conceptuel des indices GSoD » sont « Gouvernement représentatif », « Droits fondamentaux », « Contrôles sur le gouvernement », « Administration impartiale » et « Engagement participatif ». A partir de 2019, à partir des indices, un classement trois types de régimes est fait : « démocraties (de performances variables) », « régimes hybrides » et « non-démocraties ». La qualification de « non-démocraties » permet de sortir de difficultés de vocabulaires polémiques, mais IDEA emploi aussi les expressions « régime autoritaire » et « autocratisation grandissante ». Sur sa carte mondiale annuelle, IDEA remplace l’expression « non-démocraties » » par « régime autoritaire » une catégorie qui inclut « autocraties, systèmes à parti unique, régimes militaires, monarchies autoritaires et États défaillants ou pays déchirés par la guerre et ravagés par des conflits sans monopole centralisé de l’usage de la force ». IDEA transforme les 3 catégories en 5, en séparant selon les indices mesurés les « démocraties » en 3 niveaux, « démocraties performantes », « démocraties performantes moyennes et faibles » et « démocraties peu performantes ». Le classement ne permet pas de visualiser le lien entre guerre, maintien de la paix, coup d’État et transition vers la démocratie après ces événements. Souvent, la démocratie arrive après une période d’instabilité. IDEA a reconstitué un historique du classement mondial en 5 catégories depuis 1975, montrant son intérêt pour une évolution historique. Dans son classement 2020, sont classés en démocraties 18 pays, soit « démocraties performantes », soit « démocraties performantes moyennes et faibles » soit « démocraties peu performantes », le Botswana, le Burkina Faso, le cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée Bissau, le Kenya, le Lesotho, le Libéria, Madagascar, le Malawi, Maurice, la Namibie, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, la Tunisie (Sao Tomé et Principes est absent du classement). Le nombre de régimes autoritaires est assez réduit puisque des pays comme l’Angola, la Guinée, la Tanzanie, le Gabon ou le Togo sont de manière plus ou moins surprenante classés en ‘régimes hybrides’.
Le monde de l’évaluation des régimes politiques est surtout un monde anglo-saxon, basé sur de la recherche anglo-saxonne et suédoise. En France, le classement des régimes politiques semble jusqu’à présent très peu valorisé, sans références fréquentes par des chercheurs et journalistes. Est-ce que les classements sont perçus comme inadaptés ou impossibles à réaliser correctement ou est-ce qu’ils sont vus comme contraire à une éthique de recherche très intellectuelle et détaillée incompatible avec des réductions nécessaires à de la forte synthèse ? Le problème que pose cette désaffection, c’est que les chercheurs travaillant en anglais semblent avoir une beaucoup plus grande sensibilité dans la prise en compte des données en anglais, plus fournies en Afrique anglophone, et une moins bonne sensibilité sur les données de l’Afrique francophone. En outre, l’essentiel de l’actualité des détournements des processus électoraux depuis 1990 se situe en Afrique francophone et, parfois, la gravité de la situation sur les élections semble sous-estimée par les chercheurs anglo-saxons et anglophones, qui ne sont pas confrontés aux sommets de la criminalité et de la perversité électorale de l’Afrique francophone.
Typologie des régimes, nombres de catégories et choix des termes
Une grande question du classement des régimes réside au niveau du nombre de catégories principales, sachant qu’il peut y avoir des sous-catégories. En 1973, les Américains de Freedom House partent sur 3 niveaux. En 2007, le groupe de chercheur britanniques ‘Economist Intelligence Unit’ (EIU) part sur 4 niveaux dont deux de démocraties. En 2017, les chercheurs divers surtout suédois d’IDEA partent sur trois types de régimes en différenciant encore trois niveaux parmi les ‘démocraties’. Ces trois classements sont mondiaux. Le seul classement africain, celui de la Fondation Mo Ibrahim évite le classement en niveau ; ce n’est sans doute pas un hasard. En 2015, le Monde diplomatique publie un article de la journaliste Cécile Marin avec un classement sur l’Afrique en repartant de 1960, lui aussi à trois niveaux. La conception en trois pôles est bien ancrée, qu’il y ait ou non des sous-catégories.
Différencier des niveaux de démocraties, c’est porter plus d’intérêt à la démocratie elle-même. IDEA met beaucoup de choses dans les « régimes autoritaires », y compris des pays en guerre et très instables politiquement. Ce choix pose problème : le critère de stabilité des régimes n’est pas pris en compte alors que le lien est très fort entre une stabilité du régime et la possibilité d’organiser des élections non démocratiques pour se maintenir longtemps sous une apparence civile. Comme IDEA, l’EIU mélange des régimes connaissant une instabilité liée à la guerre comme la RDC et la Centrafrique avec les régimes « autoritaires » en arrivant pour ces deux pays aux plus mauvaises notes, comme si ces régimes étaient très « autoritaires », ce qui n’est pas le cas. En particulier, il y a un certain niveau de démocratie en Centrafrique, avec des élections aussi bien faites que la guerre le permet, par contre le pays n’est pas complètement contrôlé par le gouvernement, ce qui n’a pas vraiment à voir avec un classement de niveau de démocratie.
En tenant compte de la durée et de la stabilité des régimes, il s’observe que les régimes les plus stables à l’exception de ceux traversant des longues guerres, sont soit des régimes démocratiques, soit des régimes opposés à la démocratie. Presque tous les autres pays et types de régimes sont actifs sur des périodes assez courtes, donc dans une certaine ‘instabilité’ en regardant sur une plus longue période. Par contre, il y a aussi des traumatismes longs sur plusieurs décennies après des guerres à grand nombre de victimes et après un génocide, dans des régimes qui se stabilisent ou sont stabilisés, surtout si les forces politiques correspondent aux anciennes forces armées.
Un autre point de vue – choisi par l’auteur dans son classement depuis 2017 dans un classement sans indicateur sur échelle continue – consiste à considérer que des pays sont décalés et comme inclassables selon l’échelle souhaitée pour ne pas perturber les classements des pays démocratiques et des pays réellement antidémocratiques, afin de pouvoir bien en calculer leurs nombres. Une méthode est alors de considérer des régimes décalés ou difficiles à classer avec les régimes intermédiaires ou hybrides. Mettre des pays instables en guerre, en suite de guerre (parfois assez longtemps si les forces armées se transforment en partis), instables politiquement après un coup d’État, instables politiquement en raison d’un très grand nombre de manifestations de la population contre le pouvoir ou après une révolution. Beaucoup de situations d’instabilité amènent des « transitions » qui sont en réalité des « transitions potentielles vers la démocratie », et il est assez logique de considérer que ces régimes se situent à un niveau intermédiaire entre démocratie et antidémocratie. Cette approche valorise le travail de soutien des diplomates internationaux aux transitions vers la démocratie après les guerres, les coups d’État et les épisodes plus ou moins révolutionnaires. En outre, ce positionnement méthodologique correspond au travail de recherche spécifique à l’Afrique. En effet, l’Afrique concentre une grande partie des efforts internationaux de maintien de la paix et d’aide à la construction des États, aussi parce que ce continent est le plus pauvre et que le moindre développement économique est une des causes des interventions politiques et financières. L’Afrique concentre une grande partie des interventions pour soutenir des transitions potentielles vers la démocratie discutées internationalement. Il s’y exprime plus que dans les autres continents une nécessité de considérer un travail de réflexion sur des transformations soutenues et organisées, en tenant compte de la démocratie comme élément de solution à la construction d’États stables militairement et politiquement.
Le terme « autoritaire » (‘authoritarian’) est très employé dans les classements : c’est une catégorie principale pour The Economist, une catégorie principale de la carte d’IDEA qui emploie aussi « non-démocraties » dans sa présentation actuelle et une catégorie principale sur le récent classement ‘démocratie’ de Freedom House sur l’Europe de l’Est. En effet, Freedom House différencie en 2021 un classement sur l’échelle des libertés et un classement sur l’échelle de la démocratie utilisé pour l’Europe de l’Est. Ces deux échelles ont tendance à se mélanger dans les classements des régimes. Les valeurs mesurées peuvent être assez fortement corrélées. Il peut y avoir une difficulté de traduction de l’anglais au français. On peut être autoritaire et légitime pour justifier d’avoir la possibilité d’user autorité, par exemple parce que l’on a été élu par des processus électoraux corrects. Le problème principal du terme « autoritaire » est qu’il dévalorise la question de la légitimité démocratique à être présent au pouvoir. Le plus probable est que la conception dont découle les classements qui utilisent le terme « autoritaire » ne tient pas suffisamment compte de la possibilité d’être au pouvoir grâce à des élections sans valeur démocratique et des processus électoraux détournés. La stabilité dans le temps du régime et de sa façon de se maintenir, pas uniquement par la force mais aussi par un droit détourné, en particulier du droit dans des processus électoraux détournés, n’est pas suffisamment prises en compte pour un contexte africain contemporain.
Le terme de ‘dictature’ est très employé en Afrique, au point que l’on puisse parler des ‘dictatures africaines contemporaines’ c’est-à-dire d’un type de dictature découlant principalement dans beaucoup de pays d’un retour au multipartisme sans retour à la démocratie dans 36 pays au début des années 90. Une alternative au calcul d’indicateurs par des notes est de classer selon une liste de « critères primaires » et « de critères secondaires » en plaçant dans les critères primaires ce qui définit ou fonde une « démocratie » et une « dictature » ou une « non-démocratie ». Par exemple, les critères définissant les régimes peuvent être : la méthode de prise du pouvoir (élection, révolution, guerre ou coup d’état militaire), les méthodes pour se maintenir au niveau électoral et la valeur des processus électoraux, le fait de commettre ou non des assassinats et des massacres en particulier d’opposants, le niveau des libertés y compris de la presse et la répression des opposants, le niveau de la justice et de l’état de droit. Peuvent être alors critères secondaires, la durée du pouvoir, le sous-développement, le niveau de corruption et les Biens Mal Acquis ou encore l’implication dans des guerres dans d’autres pays.
Historiquement, le terme de ‘dictature’ renvoie à une absence d’élections : les régimes fascistes et communistes ont supprimé les élections. Une « dictature africaine contemporaine » serait une dictature avec des élections qui n’ont aucune valeur démocratique, ou aucune valeur, ou assez peu de valeur et qui sont équivalentes d’une absence d’élections. Il semble y avoir de la réticence chez une partie des chercheurs à acter le fait qu’une grande partie des élections n’ont pas de valeur ou une valeur limitée. Les démocrates parlant de « dictature » dans leur pays vont aux élections, par nécessité, parce que sinon, cela peut-être encore pire politiquement. Ils sont soutenus y compris par ceux qui classent les régimes et pensent les classements comme une aide à la démocratisation. Le débat autour du besoin de classer sur une échelle plus proche des libertés ou sur une échelle plus précisément politique de la nature des régimes, est sans doute lié à la perception de la valeur des élections. Dans un espace francophone mondial, les élections en Afrique sont perçues comme ayant plus d’importance parce qu’elles sont perçues comme ayant peu de valeurs en pratique. Dans un espace anglophone mondial, au contraire, les élections en Afrique sont perçues comme ayant moins d’importance parce qu’elles sont perçues comme ayant plus de valeurs en pratique. A force de lutter pour améliorer les processus électoraux, les démocrates francophones priorisent plus la capacité à accéder au pouvoir de manière légitime.
Les régimes antidémocratiques d’Afrique, qu’on les appelle « dictature africaine contemporaine » ou d’un autre nom, se rapportent à plusieurs sous-catégories : en premier lieu des régimes issus des partis uniques des années 80 qui n’ont pas accepté le principe de la démocratie (Guinée Équatoriale, Congo Brazzaville (avec guerre en 1997), Cameroun, Ouganda, Djibouti, Togo, Gabon (7 sur 23 en 2021)), des régimes militaires récents issus de coup d’état (Égypte), des régimes issus d’une victoire militaire dans une guerre (Côte-d’Ivoire, Rwanda), des régimes issus d’une victoire électorale démocratique évoluant ensuite vers une grave régression des libertés, de l’État de droit et un passage à des processus électoraux sans démocratie, une régression qui peut aussi être nommée ‘dictatorisation’ (Bénin depuis 2018-2019 avec législatives, Comores depuis 2018-2019 avec présidentielle), des dictatures de partis politiques (trois historiques Algérie, Tanzanie, Mozambique, et plus récemment Zimbabwe, Angola, Burundi), une monarchie constitutionnelle (Maroc), une monarchie absolue traditionnelle (eSwatini), un régime totalitaire sans élection (issue de guerre) (Érythrée) et, enfin, un régime original mixte entre issu de guerre et installé par processus électoral de dictature (RDC en 2019). Les derniers régimes issus des régimes militaires des années 80 ont disparu (le dernier au Burkina Faso en 2014). Tous ces régimes ont pour caractéristique de s’opposer à une démocratie réelle en la simulant par des processus électoraux sans possibilité d’alternance. Le Maroc où le niveau des libertés est faible est cependant décalé, car il bénéficie d’une démocratie restreinte à espace parlementaire avec des alternances parlementaires et des élections législatives correctes. Des régimes démocratiques peuvent aussi ne pas passer par des alternances, à partir du moment où les processus électoraux sont de bonne qualité et non contesté par une opposition. Au Botswana, des présidents issus du parti Botswana Democratic Party (BDP) se succèdent depuis 1966 sans alternance parlementaire, et, en Afrique du Sud, l’ANC n’a pas perdu sa majorité au parlement depuis 1994.
Critiques des classements de régimes politiques appliqués à l’Afrique
La subjectivité dans le choix des principes d’une méthode de classement est inévitable. La subjectivité dans la notation et les biais cognitifs, par exemple sur la langue de travail et les données collectées, est plus problématique. Malgré les efforts, elle est difficile à éviter. C’est pourquoi un classement est rattaché à un ou plusieurs chercheurs à voir comme ‘auteurs’. Il s’agit de recherche dans un domaine récent et qui dit recherche dit évolution des connaissances en particulier impactant les méthodes. Par ailleurs, des faits nouveaux peuvent être découverts : quels chercheurs lisant surtout des données anglophones sont au courant que la présidentielle béninoise de 1996 était une présidentielle au résultat inversé à la compilation des procès-verbaux nationaux et qu’il en découle, que la démocratie béninoise, le modèle des anciennes colonies françaises, a disparu en 1996, faisant qu’en 1997 il n’y avait plus aucune démocratie dans les anciennes colonies françaises ? Les chercheurs qui classent sont surtout extérieurs à l’Afrique, même s’il y a des chercheurs, dont le directeur Afrique kényan, Roba D. Sharamo et des administrateur-trice-s (2) africain-e-s qui travaillent pour l’IDEA basé à Stockholm. Une externalité de l’émission de l’observation permet une certaine neutralité, alors que des pressions peuvent être appliquées par des régimes liberticides pour contraindre des intellectuels à limiter leurs critiques. Un mélange des nationalités dans différents continents, avec des doubles nationalités, est possible.
Qui classe ? Les chercheurs ne sont pas les seuls à disposer des moyens pour classer, mais ils sont sans doute les seuls perçus comme assez neutres pour publier un classement sans être accusés d’avoir créé ce classement dans leurs intérêts ou avec un discours culturellement ou idéologiquement trop marqué. Le discours des personnalités politiques, des gouvernements, des institutions nationales, sur les différents types de régimes politiques est limité par les codes diplomatiques et le souci d’efficacité diplomatique par le dialogue. Les chercheurs et militants des ONG ont la possibilité de parler facilement des différents types de régimes. Par exemple, en France, depuis longtemps, dans sa dénonciation de la Françafrique, l’association Survie utilise le qualificatif de dictature et de dictateurs, mais sans lister précisément les pays.
Les divergences entre les trois principaux classements actuellement reconnus, les décalages dans le classement de nombreux pays, la plus grande importance accordée aux processus électoraux, montre que les méthodes de classement utilisées sont discutables, critiquables et améliorables. Certes, les différents classements doivent être lus avec un regard critique, mais le problème semble ailleurs et plus grave. Les classements sont complexifiés avec un souci d’objectivité des mesures mais cette objectivité ne garantit pas la lisibilité et la clarté. Le classement dans des catégories (discontinues) se fait en fonction d’indicateurs et de notes sur des échelles continues, alors que la réalité fonctionne sur une logique de discontinuité, sur une logique beaucoup plus binaire entre démocratie et antidémocratie. Ce qui détermine la qualité des élections, c’est d’abord l’acceptation des règles de la démocratie ou leur rejet par le pouvoir sortant et ce qui détermine la possibilité pour la population de choisir les dirigeants correspond à cette logique globalement binaire. Les priorités de transformation exprimées correspondent à cette logique. Les échelles continues des indicateurs s’éloignent de cette réalité africaine depuis deux ou trois décennies. Les classements sont complexes, donnent des indications sur un grand nombre de points mais, en ce qui concerne l’Afrique, ils semblent assez éloignés de l’essentiel qui est la réalité de l’existence des régimes antidémocratiques africains depuis les années 90, qu’on les appelle régimes non-démocratiques, régimes non-libres, régimes autoritaires ou dictatures, tels qu’ils sont perçus dans l’Afrique d’aujourd’hui. La perception la plus diffusée est celle qui s’exprime dans le renouvellement des détournements de processus électoraux, quand les partis politiques démocrates et la société civile ne peuvent rien faire, une fois de plus, contre des criminels électoraux récidivistes et impunis qui simulent la démocratie électorale, sans vraiment se cacher, protégés par un état de non-droit et leur souveraineté nationale en l’absence de justice électorale internationale, le plus souvent depuis le début des années 90. Les trois classements actuels reconnus semblent tourner autour du pot comme si un tabou persistait, celui de la gravité des élections sans démocratie. En ce qui concerne l’Afrique, au stade actuel de son évolution politique, multiplier les éléments mesurés pour un classement conduit à s’éloigner de l’essentiel en démocratie, dans les phases critiques de sortie des régimes clairement opposés à la démocratie, la possibilité pour un peuple de choisir librement ses dirigeants.
Il y a beaucoup plus d’informations difficiles à obtenir et d’incertitudes concernant les processus électoraux que dans d’autres domaines. Les informations sur les droits humains fournies par HRW, Amnesty internationale, la FIDH et toutes les associations de droits humains nationales sont très fiables. Il y a juste quelques incertitudes sur des nombres de morts et de blessés. Les informations sur les atteintes de la liberté de la presse sont aussi de bonne qualité. A l’extrême inverse, les informations fournies par les partis politiques démocrates sont plus floues et partielles, parfois, assez rarement, fausses. Par exemple, il est très difficile pour les opposants d’une dictature de médiatiser les preuves des inversions de résultats à la compilation des résultats nationaux et à l’annonce officielle. Il y a eu des preuves au Gabon en 2016 et en RDC en 2019 mais les opposants camerounais et ougandais ont porté des accusations moins étayées au Cameroun en 2018 et en Ouganda début 2021. En 2020 au Togo, Agbéyomé Kodjo a été victime d’une inversion de résultat par suppression du second tour mais en dénonçant ce crime, il a lui-même menti et s’est attribué plus de 50% des voix, parlant de 60%, se décrédibilisant auprès des journalistes et diplomates et allant jusqu’à imiter les méthodes de son adversaire en voulant supprimer lui aussi le second tour, ce qu’il aurait dû dénoncer lui-même et qu’il n’a plus pu dénoncer après. Quant à l’inversion de résultat de la présidentielle béninoise de 1996 par Mathieu Kérékou, la vérité mettra plus d’une trentaine d’années à apparaître et la révélation de cette vérité est encore en cours. Il y a non seulement besoin de recherche mais aussi du travail des journalistes et journalistes d’investigation pour les affaires cachées. Cependant, ces exemples sont piégeant : les régimes non démocratiques préfèrent rester sur des méthodes moins conflictuelles et préfèrent les simples détournements en amont des processus électoraux. Ils utilisent le plus souvent un mélange de dizaines de méthodes pour modifier à leur avantage l’organisation du scrutin, avec quelques méthodes principales faisant basculer ensuite le résultat. En limitant la portée des données électorales dans leur classement, les chercheurs, surtout dans un espace anglophone, facilitent énormément leurs travaux, mais aussi les biaisent, et les biaisent surtout dans la partie non ‘anglophone’. Il y a de grandes chances que la sous-estimation des données électorales complexes permet de rendre des classements faisables, alors qu’il ne le serait pas en tenant compte correctement de ces données. Le problème théorique et de mesure est donc essentiel.
Les classements des chercheurs plus anglophones semblent parfois moins précis et fiables sur l’Afrique ‘francophone’. L’essentiel de la fraude électorale se déroulant en Afrique francophone, dans les anciennes colonies françaises et en RDC, les trois classements les plus reconnus et construits selon des logiques similaires sont encore moins adaptés à l’Afrique francophone qu’au reste de l’Afrique. Il est en outre probable que les trois classements de régimes reconnus sont favorables à l’Afrique anglophone en étant plus adaptés au soutien de leur transformation positive depuis 1990, 2000 ou 2010. Cette hypothèse a un sens parce que l’Afrique Anglophone est en nombre de pays depuis 1996-1997, depuis 2005, depuis 2018, plus avancée dans un parcours de démocratisation que le reste de l’Afrique. Cette avance de phase va avec un meilleur état de droit, un meilleur contrôle juridique des processus électoraux ou des commissions électorales plus adaptées et indépendantes. Ce sont autant d’éléments sur lesquels s’appuient des réformes dont l’efficacité peut être vérifiée par des contrôles renforcés, qui peuvent être mesurés par des indicateurs. Du côté de l’Afrique francophone, on trouve au contraire quasiment toutes les inversions de résultats de présidentielle à la compilation des résultats nationaux, un maximum de non-respect des constitutions sur le nombre de mandats présidentiels et un grand nombre de coups d’État militaires. L’Afrique francophone connaît beaucoup plus d’accidents historiques majeurs, de discontinuités de régimes et de transitions potentielles vers la démocratie.
Les classements mesurent ce pour quoi ils ont été conçus et uniquement cela. Plus il traite de données de pays relativement avancés sur le chemin de la démocratisation, plus un classement est orienté vers l’aide à la transformation de pays plus avancés dans la démocratisation, et, inversement, plus un classement traite de données de pays peu avancés sur le chemin de la démocratisation, plus un classement est orienté vers l’aide à la transformation de pays moins avancés dans la démocratisation. C’est là que la différence entre quantités de données plus ‘anglophones’ ou plus ‘francophones’ crée un biais. La gestion de la priorité des types de données ne peut pas être la même dans un classement orienté ‘aide à la transformation des pays déjà bien avancés dans la démocratisation’ que dans un classement orienté ‘aide à la transformation des pays encore peu avancés dans la démocratisation’. L’Afrique a accumulé un retard qui s’exprime dans la gravité des méthodes de détournement des processus électoraux depuis la mise en place d’élections concurrentielles sans démocratie réelle entre 1990 et 1994 et ce retard n’est pas pris en compte actuellement.
Ce problème de fréquence élevée des événements de rupture est bien visible sur l’Afrique francophone mais concerne en réalité toute l’Afrique en comparaison avec l’Amérique du Sud depuis 1990, l’Asie, le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est depuis 1990. Les autres continents que l’Afrique ont en moyenne des régimes beaucoup plus stables depuis la fin de la guerre froide. Un classement qui différencie des niveaux de démocratie est sans doute adapté à l’amélioration de la situation en Amérique du Sud depuis la fin de la guerre froide, parce que le continent s’est démocratisé plus vite. L’Afrique mélange quelques évolutions lentes, processuelles, en démocratisation, comme au Somaliland sur des années avant d’arriver à une alternance en 2021, et en dictatorisation, comme quand, au Bénin entre 2016 et 2019, la démocratie est progressivement détruite, et un grand nombre d’évolutions plus brutales. Un classement plus adapté à l’Afrique doit tenir compte de sa manière d’évoluer spécifique, de se démocratiser et de régresser en ‘dictatorisation’, tenir compte des spécificités de la géopolitique africaine, et, en particulier, il est sans doute intéressant qu’il tienne correctement compte des multiples changements de régimes provoqués par des guerres, des coups d’État, des épisodes révolutionnaires, mais aussi par le niveau très élevé et persistant de la criminalité électorale. Les événements historiques majeurs correspondent à des changements de régimes, à des évolutions très rapides, à des ruptures, mais aussi à des franchissements de seuils rapides sans aucune réforme, sans construction rationnelle d’une transformation. Par exemple, au Mali, il y a eu des élections législatives contestées suivies d’une mobilisation populaire, puis d’un coup d’État et d’un second coup d’État, et d’une proposition de report des élections de 5 ans. Par exemple, au Tchad, un assassinat mystérieux du président à peine réélu une semaine avant, amène une transition. Par exemple, en Guinée, un troisième mandat imposé par la force amène un coup d’État militaire et la libération de tous les prisonniers politiques. Par exemple, au Bénin en 1996, une inversion de résultat de présidentielle à la compilation des procès-verbaux amène la chute du niveau de démocratie en-dessous d’un seuil de réalité de la démocratie, mais cela n’est pas visible immédiatement. Une priorité serait de tenir compte des incidents historiques majeurs autant que des efforts de réformes. De ce point de vue, étant donné l’éloignement des trois classements de régimes les plus connus actuellement de la réalité africaine, il semble presque normal que les classements de régimes soient encore très peu utilisés pour concevoir une transformation de l’Afrique.
Cependant, vers 2020, certains pays se démarquent par des évolutions originales qui s’écartent des modèles dominants sur le continent africain. Il s’observe une multiplication des régimes intermédiaires par glissement, dérive, processus progressif sans importante date marquante. Après la dictatorisation des Comores et du Bénin entre 2016 et 2019, en 2020, en sens inverse, se fait sentir en Mauritanie une certaine démocratisation progressive qui s’affirme malgré l’absence de rupture complète avec l’ancien régime issu du coup d’état militaire et malgré ce qui s’apparente après la présidentielle du 22 juin 2019 à une « inversion du résultat par suppression du second tour ». Bien qu’il n’y ait rien de définitif, ce processus mauritanien est sans doute exceptionnel dans l’histoire de l’Afrique depuis 1990. Au moment du passage au multipartisme dans 36 pays à partir de 1990, il se prévoyait une ‘démocratisation progressive des régimes issus des partis uniques’ mais cela n’est pas arrivé en dehors de quelques pays, presque tous au démarrage du processus continental de retour au multipartisme dans 36 pays entre 1990 et 1994 surtout, tous avant la fin des années 90 sauf aux Seychelles où la lente évolution est exceptionnelle. La situation en Mauritanie n’a pas non plus à voir avec un coup d’État à visée démocratique. L’exemple Mauritanien est plus facilement visualisable avec des indicateurs présents dans les 3 classements de régimes les plus connus, mais, il correspond plutôt à une exception, car en Afrique, en général une ‘dictature’ disparaît par une chute et l’arrivée de la démocratie correspond à des événements historiques marquants. En 30 ans, en Afrique, l’idée de démocratisation d’un régime initialement non démocratique a presque disparu. Le cas actuel de la Mauritanie est une nouvelle exception intéressante, qui passe certainement inaperçu. En 2021, peut-être voit-on quelque chose qui a des liens dans la logique en cours en RDC, là aussi après une inversion de résultat de présidentielle.
En Afrique, la correspondance entre ‘faiblesse de l’État de droit, répression des libertés’ et répétition des processus électoraux sans valeur démocratique est grande. En général, les dictatures au niveau électoral regroupent l’essentiel des atteintes aux libertés et la répression, et la vertu des systèmes démocratiques au niveau électoral garantit le maximum d’état de droit. En Afrique, plus qu’ailleurs, les deux pôles se distinguent clairement dans les régimes stables sur plusieurs années. Il y a très peu de pays à élections correctes dans lesquels il y a des atteintes importantes des libertés, d’une manière qui serait possible en Europe quand par exemple les violences policières ne sont plus contenues. Comme en Europe, des exceptions commencent sans doute à apparaître. Ainsi, vers 2020, le Niger accumule des incidents au niveau Etat de droit tout en restant sur une base démocratique au niveau électoral. Si un classement met l’accent sur les processus électoraux, le Niger est considéré comme démocratique (Marzin) mais si un classement met la priorité sur d’autres données diverses, le Niger est considéré comme un régime intermédiaire (‘hybride’ selon IDEA et partiellement libre selon Freedom House) ou même ‘autoritaire’ (au premier niveau sur trois pour The economist). Cet exemple montre bien, les difficultés du classement, mais il est intéressant, parce que si d’autres pays prenaient cette trajectoire, les trois classements les plus reconnus deviendraient plus efficients.
Une autre remarque qui peut être adressée aux concepteurs de classement concerne l’importance accordé dans les classements aux pouvoirs législatifs et aux parlements par rapport aux pouvoirs exécutifs et aux chefs d’État ou président ou Premier ministre quand ils sont à la tête de l’exécutif. Le terme ‘autocratie’ employé par IDEA pour désigner une sous-catégorie des ‘régimes autoritaires’ ne peut pas correspondre à un régime politique où le pouvoir est partagé entre une personnalité ou une famille et un parti. Les dictatures communistes n’avaient pas ou n’ont pas d’élections mais elles pouvaient et peuvent faire se succéder des dirigeants sans changer de système. Cela continue en Chine aujourd’hui et c’était déjà le cas en Europe de l’Est pendant la guerre froide. Beaucoup de discours assimilent le régime au chef de l’État, alors que des pays ne changent pas de régime quand se succèdent des chefs d’État d’un même parti. En Afrique, la différence se situe dans l’existence d’élections qui dans certains pays sont sans valeur démocratique et équivalente à une absence d’élection. Cela implique de considérer dans des régimes sans démocratie le poids du parti au pouvoir. Quand, au Zimbabwe, Robert Mugabe chute, il apparaît immédiatement que son parti, le ZANU-PF, possède une grande partie du pouvoir et est en mesure de garder la totalité du pouvoir sans un changement de régime politique. Au contraire, quand, au Tchad, Idriss Déby est tué, au bout de quelques mois, il apparaît que son parti, le MPS, n’est pas en mesure de conserver facilement le pouvoir, sauf à s’appuyer une nouvelle fois sur une répression de militaires. De même, au Soudan, le parti d’El-Beshir n’a pas survécu à sa chute. Il y a des régimes ou un parti au pouvoir solide se cache derrière un dirigeant, par exemple aussi au Cameroun, et il n’est pas toujours évident d’évaluer la solidité d’un parti derrière une personnalité ‘dictateur’.
Sur ce point, la limitation du nombre de mandats présidentiels intervient maintenant fréquemment dans les changements de présidents en Afrique, et, dans des pays où les processus électoraux ne sont pas démocratiques. Parce qu’il y a des changements de chefs de l’exécutif sans changement de régime il est nécessaire de distinguer des régimes basés sur des partis politiques et pas sur des personnalités, familles ou clan. Il est ainsi possible de distinguer des ‘dictatures de parti politique’ ou ‘régimes non démocratiques de parti politique’. Dans une dictature de parti politique ou de parti, le pouvoir se répartit sur un système d’acteurs à l’intérieur du parti au pouvoir au lieu de se concentrer sur un homme, une famille et un clan réduit autour, ce qui permet des changements à la tête de l’exécutif dans une continuité de gouvernement. Les alternances de chef de l’état se font alors sans démocratisation, même si l’installation dans une dictature avec alternance de ce type à long terme peut se faire avec des progrès sur des points secondaires, par exemple sur quelques points des processus électoraux et de l’État de droit, des progrès qui n’affectent pas la solidité du régime et l’impossibilité d’alternance de parti au parlement. Le nombre de dictatures de parti est aussi indirectement lié au nombre de pays avec une limitation du nombre de mandats qui reste stable à 39 depuis 2019. La phase de recul de la démocratie de 2016-2019 s’accompagne d’une phase d’augmentation du nombre de dictatures de partis politiques. Depuis 2017, depuis que trois pays ont vu des alternances de président en régime non démocratique sans alternance au parlement, en Angola, au Zimbabwe et au Burundi, la menace d’une multiplication des dictatures des partis est forte. Il reste 18 anciens partis uniques des années 80 au pouvoir, dont très peu de démocratisés, seuls 5 étant revenus au pouvoir de manière démocratique. Actuellement, il ne suffit pas d’attendre qu’un chef de l’État meurt de vieillesse pour espérer une démocratisation. Les dictatures de parti sont sans doute plus stables que les dictatures de personne et constituent un danger d’autant plus fort de maintien de régimes antidémocratiques à plus long terme. Là aussi, la distinction des régimes se basant sur le pouvoir d’un parti politique des régimes se basant sur une personnalité, une famille ou un clan, devrait réorienter les études d’évaluation vers la considération des méthodes de maintien du pouvoir, et donc vers les élections, plus que sur un état des lieux plus général.
Conclusion
L’Afrique a besoin de classements des régimes politiques pour plusieurs raisons : comprendre son histoire depuis le retour du multipartisme dans 36 pays vers 1990, analyser les collaborations interétatiques pour éviter des dérives, permettre une amélioration du soutien externe à la démocratisation, par exemple grâce aux missions d’observation, anticiper la survenue de certaines crises électorales et agir de manière préventive.
Un peu plus de 30 ans après le démarrage du retour au multipartisme dans 36 pays d’Afrique, il devrait être attendu de la part d’un classement des régimes politiques qu’il permette d’estimer l’enjeu principal de la transformation actuelle de l’Afrique, la sortie d’une période de domination de régimes issus du monopartisme et des juntes militaires persistants depuis la fin de la guerre froide pour entrer dans une période où la possibilité pour un peuple de choisir librement ses dirigeants serait incontestée. Les classements mondiaux actuels semblent peu adaptés à l’Afrique parce qu’ils ne se concentrent pas assez sur les premiers stades des processus de démocratisation et la possibilité de choisir réellement ses dirigeants au travers de processus électoraux corrects.
L’Afrique est caractérisée par la quantité de régimes clairement antidémocratiques qui simulent la démocratie par des multiples méthodes de détournement des processus électoraux. Elle est secouée par plus d’événements de rupture que le reste du monde, des événements qui multiplient les stades intermédiaires et de nombreuses transitions courtes vers un retour à la démocratie, dont des classements devraient pouvoir tenir compte dans un modèle souple.
Un classement selon des normes trop basées sur les données de l’Amérique du Sud et du Nord, de l’Europe de l’Ouest et de l’Est, ne peut pas rendre compte du développement de la démocratie en Afrique depuis 1990, alors que cette démocratisation est très présente malgré les difficultés. Un fonctionnement en logique de ruptures spécifique à l’Afrique est visible dans beaucoup de pays.
Une question qui se pose est celle de la possibilité d’atteindre une majorité de régimes suffisamment démocratiques en Afrique, qui devenant majoritaires pourraient favoriser une évolution positive plus rapide du reste de l’Afrique. Cette hypothèse d’une bascule continentale, qui peut être pensée dans le domaine de la recherche mais serait peu visible par ailleurs, est incertaine. Une autre conception des perspectives de démocratisation serait de mettre l’accent sur des réformes plus indépendantes de l’évolution d’un équilibre continental, de faciliter la multiplication des axes de pressions en dépit des résistances, comme cela a été correctement fait avec la qualité des fichiers électoraux et le nombre de mandats présidentiels. La résistance à ces réformes sera, dans tous les cas, beaucoup plus importante dans tous les pays actuellement dans des régimes non démocratiques. Ce n’est pas parce que cette stratégie serait intéressante qu’elle justifie de penser les régimes politiques en Afrique selon des modèles larges et complexes mais inadaptés à une description historique permettant de faciliter une reprise de la démocratisation à l’échelle du continent.
Régis Marzin,
Paris, 22 mai 2022
Texte initialement écrit le 12 février 2022
[1] Selon le classement des régimes de l’auteur, in Processus électoraux en Afrique et en régime non-démocratique en Afrique, Synthèse, technique et politique, Régis Marzin, 12 avril 2018
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