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Après le coup d’état du 30 août 2023 au Gabon, nécessité d’une clarification des discours internationaux sur les élections en Afrique

31 août 2023

Après le coup d’état du 30 août 2023 au Gabon, nécessité d’une clarification des discours internationaux sur les élections en Afrique

Régis Marzin, 31 août 2023

Le coup d’état du 30 août au Gabon, advenu juste après l’annonce officielle de résultats non vérifiés et sans consensus au milieu de la nuit, survient quelques semaines après celui du Niger du 26 juillet. Le lendemain, le 31 août au matin, à l’Union européenne, le Haut-représentant Josep Borrell estime que « la situation est radicalement différente » de celle du Niger, parce qu’« au Niger, le président était un président démocratiquement élu » et qu’« au Gabon, quelques heures avant le coup d’Etat militaire, il y a eu un coup d’Etat institutionnel car les élections ont été volées », estimant encore qu’il « ne peu(t) pas dire que le Gabon était une vraie démocratie avec une famille qui dirigeait le pays depuis 50 ans ». De toute évidence, les deux coups d’état correspondent à des objectifs différents et largement opposés. Le hasard du calendrier pousse à parler urgemment des causes des régressions de la démocratie dans les anciennes colonies françaises d’Afrique dans leur diversité.

Alors qu’au Niger, la démocratie se maintenait difficilement malgré des atteintes aux droits humains, le Gabon vivait sous une dictature familiale, habituée à organiser des détournements de processus électoraux depuis le retour du multipartisme en 1990, allant régulièrement jusqu’à des inversions de résultats de présidentielle, la dernière en 2016, correctement observée par une mission d’observation européenne. Historiquement, depuis 1990, la Françafrique électorale a joué un rôle important dans les processus électoraux en particulier au travers de fausses missions d’observations. Elle s’est sans doute encore impliquée discrètement en 2016, pour empêcher des sanctions européennes attendues en raison de l’Accord de Cotonou. Le Gabon est aussi connu pour le soutien sans faille de la Cour constitutionnelle à la famille Bongo.

En 2023, une nouvelle fois, les techniques pour ajouter des voix au président sortant ont été appliquées, en amont, le jour du vote et en aval. Le processus électoral a été arrêté par le coup d’état au moment où allaient peut-être être présentées des preuves d’une nouvelle inversion de résultat pendant la compilation nationale des procès-verbaux, sachant que la démonstration est souvent difficile en raison du mélange des techniques en amont, le jour du vote et en aval. Actuellement au Zimbabwe, l’opposition tente également de montrer que le résultat a été inversé en aval. Une victoire d’Albert Ondo Ossa était, selon les vrais résultats, possible, si ce n’est probable. L’opposant principal avait commencé à communiquer quelques chiffres l’indiquant victorieux et le coup d’état est survenu avant que la commission électorale ait donné des résultats détaillés comparables pour justifier la victoire d’Ali Bongo. Ainsi, à ce stade, le résultat donnant Ali Bongo victorieux avec 64,27% des voix contre 30,77% pour son rival est difficilement vérifiable faute de détails. Cette victoire de l’opposition unie aurait été encore plus probable sans l’utilisation des techniques en amont, comme la répression et la peur intégrée par la population, la désorganisation de l’opposition ou la déséquilibre des moyens de campagne.

Une majorité de la population est évidemment soulagée par une fin de dictature héréditaire. Des conditions de tenue d’une ‘transition vers la démocratie’ commencent à être discutée. Mais, le point d’une potentielle victoire d’Albert Ondo Ossa est encore en suspens. Une victoire d’Ali Bongo selon une compilation correctement vérifiée serait au contraire considérée comme acquise irrégulièrement grâce à l’application des méthodes de détournement du processus électoral en amont et le jour du vote. Sachant qu’il a déjà inversé le résultat des présidentielles de 2009 et 2016, il mériterait déjà d’être jugé pour ces crimes électoraux comme le sera sans doute bientôt Donald Trump pour sa tentative d’inversion aux USA. En ne considérant que 2023, les techniques qui jouent sur le processus électoral en amont et le jour du vote pourraient être une justification d’une annulation d’un processus électoral sur lequel il n’y aurait pas de démonstration d’inversion de résultat.

Ali Bongo a été immédiatement lâché par une partie de la communauté internationale, comme l’indique le point de vue du chef de la diplomatie européenne. Au contraire, l’Union africaine condamne le coup d’état et cette condamnation rappelle que les pays où la démocratie est correctement installée sont minoritaires en Afrique. Le jour du coup d’état, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, a pris la même position que l’UA. Une partie des acteurs internationaux restent donc sur une indifférenciation des causes des coups d’état et d’autres évitent cette fois de le faire.

Un enjeu politique après la succession des deux coups d’état de l’été se situe aujourd’hui dans la clarification des discours sur la démocratie, les processus électoraux, les qualités et la nature des régimes organisateurs. Alors qu’une population exprime maintenant librement sa joie d’être libérée du joug d’une famille, les contradictions et ambiguïtés des discours internationaux favorisent le maintien d’autres régimes antidémocratiques en Afrique et affaiblissent les politiques de soutiens concrets à la démocratisation, tel que le soutien européen qui s’exerce au travers des missions d’observation électorales. Les politiques française et européenne gagneraient en cohérence à parler d’une seule voix sur les processus électoraux dans les anciennes colonies française et cette cohérence est plus que jamais nécessaire à une époque ou la démocratie retrouve sa place d’enjeu mondial stratégique.

Régis Marzin, 31 août 2023

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