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Mali, biométrie électorale et état civil : de la porte ouverte à une société française en 2008 au discours sur la « souveraineté » en 2024

28 mars 2024

 Mali, biométrie électorale et état civil : de la porte ouverte à une société française en 2008 au discours sur la « souveraineté » en 2024

Régis Marzin, 9 mars 2024, publié le 28 mars 2024,

d’après des recherches sur l’histoire des élections en Afrique

Régis Marzin est journaliste et chercheur indépendant spécialiste des processus électoraux en Afrique. Il travaille sur l’histoire des élections en Afrique dans 55 pays depuis 1792.

@Regis_Marzin

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L’histoire des processus électoraux en Afrique et l’actualité des élections en Afrique sont remplies de questions sur le rôle des acteurs extérieurs aux pays. Par exemple, le rôle des observations électorales ou celui des diplomates sont souvent analysés. Cependant, les processus électoraux sont globalement contrôlés par des acteurs nationaux et compris comme tels. Quand le 13 février 2024, à la télévision malienne, le gouvernement vient revendiquer la défense de sa « souveraineté » dans le cadre d’un processus électoral, une « souveraineté » perdue qu’il dit récupérer, l’événement attire l’attention. Pour la première fois dans un processus électoral en Afrique, un gouvernement annonce reprendre par la force la main sur son fichier électoral. Le conflit oppose un état à un acteur étranger et privé, un acteur français majeur de la biométrie électorale en Afrique, l’entreprise Idémia. La partie visible du conflit, son aboutissement en 2024, ne peut se comprendre qu’en considérant une histoire commencée en 2008, une histoire particulièrement originale dans l’histoire de la biométrie électorale en Afrique. Cette histoire a commencé dans une collaboration sereine entre acteurs français et maliens et se termine, en période de conflit armé au Sahel, dans son contraire, dans un antagonisme exacerbé parfait pour se propager en anathèmes sur les réseaux sociaux. Cette histoire est aussi symbolique d’une dégradation rapide des relations entre deux pays jusque-là associés dans la continuité d’une longue histoire.

Au Mali, les élections présidentielle et législatives de 2002 permettent une alternance. Amadou Toumani Touré (ATT) et sa coalition Espoir 2002 prennent alors le relais d’Alpha Oumar Konaré dans un climat d’affermissement démocratique. Le Mali utilise un fichier électoral sans biométrie en 2002, 2007 et 2009, basé sur un recensement effectué en 2000 et 2001, le Recensement administratif à caractère électoral (Race)[1]. En 2008, le Mali envisage de mettre en place un fichier d’état civil avec biométrie, qui serait issu d’un nouveau recensement appelé Recensement administratif à vocation d’état civil (Ravec). Un fichier électoral biométrique avec empreinte et photo serait tiré du Ravec. L’objectif est beaucoup plus large que d’améliorer les seules élections, car il s’agirait de produire « cartes d’électeurs, permis de conduire, passeports sécurisés, cartes consulaires et d’identité, listes électorales, cartes de sécurité sociale »[2]. Ce projet ambitieux est unique en Afrique et le restera. L’assistance électorale de l’Union européenne et du PNUD aide alors le Mali[3].

Le 11 avril 2008, le président ATT et le gouvernement du premier ministre Modibo Sidibé « approuvent le marché relatif à la mise en place du Centre National d’Etat Civil du Mali » accordé à la Société Sagem pour un montant de 11,2 millions d’euros ou 7,3 milliards de CFA avec « un délai d’exécution de 12 mois »[4]. Dans les années 2000, la société française Sagem obtient plusieurs marchés biométrie en Afrique que ce soit sur de la biométrie électorale ou sur les cartes d’identité. Elle s’est fait remarquer en 2001 en Mauritanie en réalisant le premier enrôlement biométrique électoral en Afrique.

Un enrôlement biométrique est réalisé entre mars 2009 et avril 2010, et au second semestre 2010 pour les Maliens de l’extérieur[5]. 14,2 millions de personnes sont enregistrées. Les Maliens de Côte d’Ivoire sont enrôlés avec du retard en 2011 et 2012. Les enfants sont enrôlés comme les adultes. Aucun opérateur privé n’est mis en avant et la Délégation générale aux élections dirigée par le général Siaka Sankaré, expert électoral qui deviendra en 2011 le président du Réseau des compétences électorales francophones (RECEF)[6], semble être le principal responsable de l’enrôlement. Le gouvernement et l’armée travaillent ensemble et il n’y a pas de commission électorale aux manettes, comme c’est le cas en général en Afrique.

Le Centre de traitement des données d’état civil est déjà en place mi-2011. Ce centre accueille un système informatique de la société française Morpho, la Sagem jusqu’en mai 2010, nommé « Workflow MorphoCivis Mali »[7]. Le projet global est un projet informatique qui va bien au-delà de la biométrie et Morpho est responsable dans le projet de la partie centrale, la partie des serveurs et de la base de données[8]. Alors que la biométrie électorale en Afrique est synonyme d’enrôlement, aucune publicité n’est faite, entre 2009 et 2011 d’une participation de Sagem-Morpho dans la phase d’enrôlement ou la fourniture du matériel d’enrôlement.

La configuration du Mali en biométrie électorale est très différente de celles de tous les autres pays : le gouvernement gère les enrôlements vers un système informatique d’état civil, la gestion informatique de ce système est de la responsabilité d’un partenaire informatique, une société privée, et les cartes électorales sont fabriquées par une société privée sur un autre marché spécifique. Le Mali depuis 2013 et l’Egypte depuis 2011 sont sans doute les deux seuls pays d’Afrique dans lesquels la liste électorale est extraite de l’état civil. L’Egypte dispose avec Morpho également en 2015 d’une autre configuration originale : il y a à la fois extraction de l’état civil et enrôlement correctif de Morpho et le vote s’effectue uniquement avec la carte d’identité qui est authentifié le jour du vote. Aucun autre pays en Afrique n’utilise la solution fortement intégrée du Mali.

Un peu plus de deux ans après avoir vendu cette configuration au Mali, la Sagem propose un système équivalent ou proche à la Mauritanie qui l’accepte. Un contrat est signé le 7 septembre 2010 [9]. La Sagem devenue Morpho met en exergue un « renouvellement complet du système d’état civil et la sécurité de ses citoyens » grâce à « un programme innovant qui intègre à la fois l’identification de la population, la mise en place des documents d’identité, la gestion des registres policiers et le contrôle sécurisé aux frontières »[10]. A partir de 2013, au contraire du Mali, le fichier électoral n’est pas inclus dans la configuration Morpho d’état civil car le Recensement administratif à vocation électorale (Ravel) et son fichier biométrique correspondant en place depuis 2006 restent en fonction et le sont toujours en 2024[11]. Le Ravec du Mali devient en Mauritanie le Système intégré pour la gestion des populations et titres sécurisés (SIGPTS). A partir des législatives de 2013, il est possible de voter avec la nouvelle carte d’identité biométrique ou avec la carte électorale qui conserve l’avantage de présenter le « bureau de vote attribué à l’électeur et le numéro d’ordre de l’électeur sur la liste électorale »[12]. En 2021, la Sagem devenue Idémia renouvelle son contrat de gestion du SIGPTS ce qui permet ensuite de produire une nouvelle carte d’identité[13].

En Côte d’Ivoire, un pays dans lequel la Sagem est très présente depuis 2007, la solution est techniquement différente de celle du Mali. Pour la présidentielle de 2010, le recensement électoral de la Sagem et de l’Institut National de la Statistique (INS) permet d’éditer les cartes d’identité correspondant à un fichier d’état civil, et pas seulement les cartes électorales correspondant au fichier électoral[14], qui est, lui, obtenu après croisement avec d’autres fichiers, dont ceux du recensement, de la sécurité sociale et de la liste électorale de 2000[15]. Il n’y a pas en Côte d’Ivoire de base de données unique intégrée permettant d’extraire un fichier électoral.

Après le coup d’état improvisé du 21 mars 2012 contre ATT, Dioncounda Traoré est président de la transition à partir d’avril 2012. Une présidentielle et des législatives sont prévues en 2013. Le projet de Centre National d’Etat Civil du Mali avec son fichier électoral biométrique issu du Ravec se poursuit.

Deux mois et demi avant la présidentielle, le 11 mai 2013, la société française Safran, ex-Sagem et Morpho, est choisie après un appel d’offres pour la fabrication des cartes d’identité, pour 8,5 milliards de francs CFA ou 13 millions d’euros avec « un délai d’exécution de 30 jours »[16]. Elles sont fabriquées en France. Selon Marielle Debos et Guillaume Desgranges [17], l’appel d’offre « pour l’impression des cartes d’électeurs » est « annulé au profit d’une procédure de gré à gré » puis l’attribution du marché à Safran est « dénoncée par plusieurs concurrents auprès de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMDS)[18] ». L’homme d’affaires Mohamed Sidi Kagnassi[19], malien vivant en Côte d’Ivoire, bien connu dans ce pays pour son rôle auprès de la Sagem entre 2007 et 2010, deviendra ensuite « conseiller spécial » du président malien Ibrahim Boubakar Keïta[20]. Après son intervention en faveur de Safran, il récupère pour sa société Albatros technologies un contrat pour l’amélioration du Centre de données de l’état civil malien d’un peu plus de cinq millions d’euros[21].

A partir du 28 juin 2013, les nouvelles cartes d’identité biométriques sont distribuées. Cette carte d’identité est appelée carte Nina pour Numéro d’identification nationale et elle fait à la fois office de carte d’identité et de carte d’électeur[22]. Elle contient un code barre contenant des empreintes digitales[23]. Utilisée comme carte électorale dès l’été 2013, elle ne se réfère pas à un lieu de vote[24]. La Délégation générale aux élections (DGE) du Mali, responsable du fichier électoral, mène de nouveau enrôlements en 2013 qui complètent ceux de 2009[25]. La DGE communique sur la finalisation du fichier quelques jours seulement avant la présidentielle. Le nombre d’inscrits est de 6 566 026[26]. Le fichier a des défauts, par exemple, « 200 villages ne comptent officiellement qu’un seul électeur »[27]. Même si le processus électoral n’est pas très bien organisé, en l’absence de pouvoir sortant voulant se maintenir, le processus électoral n’est pas trop conflictuel et personne n’est accusé de profiter des défaillances du fichier. Ibrahim Boubacar Keïta est élu à 77,61% au second tour face Soumaïla Cissé. Les législatives des 24 novembre et 15 décembre 2013 lui permettent d’obtenir avec ses alliés une majorité de 115 députés sur 147.

Entre avril 2014 et fin 2016, des municipales sont reportées à cause de la guerre au Nord. Du 1er au 20 février 2015, une nouvelle phase d’enrôlement est organisée, aidée par les casques bleus de la MINUSMA[28]. Le nombre d’électeurs au 21 janvier est de 7 377 850[29]. L’enrôlement ne peut se faire au Nord du Mali[30]. Il n’est toujours pas question d’opérateur privé pour l’enrôlement[31]. Le nombre d’électeurs diminue et passe à environ 7,2 millions.

Des sous-projets autour de l’état civil continuent, par exemple pour les passeports. Le 20 juillet 2016[32], le gouvernement malien signe un contrat attribuant pour 10 ans la fabrication des passeports biométriques maliens à la société française Oberthur Technologies (OT). La société canadienne Canadian Bank Note (CBN) détenait le marché des passeports non biométriques depuis 2001[33]. Le 24 juin 2021, Jeune Afrique publie une enquête dans laquelle, plusieurs personnes témoignent que Jean-Yves Le Drian a fait « un lobbying intense auprès d’Ibrahim Boubacar Keïta pour que l’entreprise bretonne soit choisie ». Jeune Afrique[34] parle de « pressions exercées en 2015 par l’ambassadeur français à Bamako, Gilles Huberson, et le ministre des Armées de l’époque, Jean-Yves le Drian, pour que la Canadian Bank soit évincée du marché des passeports au profit de l’industriel breton Oberthur technologies » (OT) [35]. Cependant, les solutions proposées par les deux entreprises ne sont peut-être pas au même niveau.

Le 9 septembre 2015, après la décision du conseil des ministres, un journal malien, la Sentinelle dénonce « la décision du gouvernement malien, toujours dans le cadre de contrat de dix ans, de charger la société française d’assurer la gestion du “système central pour sauvegarder l’ensemble des informations saisies” » ; il « y voit une perte de souveraineté pour l’Etat du Mali qui expose ainsi ses citoyens, notamment les émigrés, à la divulgation de leurs données personnelles dans leurs pays de résidence » [36]. Il y a là une erreur parce que toute la biométrie va déjà vers les serveurs Morpho depuis plusieurs années en raison du choix du gouvernement en 2008, mais il se comprend que l’idée d’un problème autour de la « souveraineté » circule à Bamako fin 2015.

Morpho et Oberthur technologies (OT) fusionnent bientôt en OT-Morpho qui est renommée en septembre 2017 Idémia. En 2021, Idémia, dans un document de promotion, présente le marché des passeports au Mali comme un projet exemplaire. Le contrat établit un partenariat Public-Privé (PPP). La société indique[37] « L’accord Construire-Exécuter-Transférer entre IDEMIA et l’État malien a donné lieu à la création d’une filiale à Bamako. Cette filiale a pris en charge la création de la base centrale de données et l’installation de l’infrastructure nécessaire pour le compte de l’État. Des activités de back-end, des services de personnalisation et des fonctions d’assistance supplémentaires ont également été menés sur place. De la collecte des paiements des citoyens à leur enrôlement et leur validation, IDEMIA offre une solution de bout en bout. » Le document précise qu’« environ 60 stations d’enrôlement (sont) installées ». La filiale créée est Mali Solutions Numériques (MSN) et elle a un partenaire, Afritek. Une banque, Ecobank, intervient dans le paiement[38]. Les solutions d’OT et de Morpho se mélangent au Mali quand les deux entreprises fusionnent sans qu’il soit facile de distinguer qui a mis en place quoi.

En vue d’une nouvelle présidentielle en 2018, début mars 2018, le gouvernement malien recherche une offre « unique » de biométrie électorale de société privée. Idémia propose pour 54 millions d’euros, l’authentification le jour du vote, la transmission des résultats par le scan des procès-verbaux et des machines à voter[39]. L’offre est chère, tardivement étudiée et pas indispensable. Bien que soutenue par certains dirigeants maliens, la proposition est rejetée. En 2018 également, un nouveau contrat est signé avec Idémia pour la gestion de la base Ravec qu’elle gère déjà depuis près de 10 ans[40].

Le 5 juin 2018, arrivent des cartes d’électeurs qui remplacent les cartes NINA. Elles arrivent de France mais ne sont pourtant directement imprimée par Idémia[41], car elles sont fabriquées par l’Imprimerie nationale de France selon un marché accordé en mai 2018[42]. La révision de la liste électorale par de nouveaux enrôlements a été auparavant effectuée par l’administration malienne, conformément à la loi qui prévoit des révisions annuelles[43]. Le fichier électoral est audité par l’OIF. La présidentielle des 29 juillet et 12 août 2018 aboutit à la réélection de Ibrahim Boubacar Keïta à 67,16% au second tour face à Soumaïla Cissé.

Après les législatives des 29 mars et 19 avril 2020, la compilation des résultats est conflictuelle car la majorité se joue à quelques sièges. La Cour constitutionnelle est accusée par l’opposition et la société civile d’avoir validée des fraudes électorales qui permettent à IBK d’avoir une courte majorité[44]. L’Alliance de partis et de mouvements d’opposition M5- RFP veut le départ du président de la République. Quand il est renversé le 18 août 2020 par un coup d’Etat militaire du Comité national pour le salut du peuple, les causes évoquées sont la guerre au Nord mais aussi l’inversion en aval de majorité aux législatives supposée au travers des accusations de l’opposition.

Le 22 février 2022, le mouvement Maliko, porte plainte contre Jean-Yves Le Drian auprès du pôle économique et financier de Bamako pour « complicité de prise illégale d’intérêt et favoritisme » au moment de l’attribution du marché des passeports à Oberthur Technologies en 2015 [45]. Un juge malien tente de convoquer le ministre français le 20 juin 2022 et la relation entre les gouvernements malien et français, déjà au plus bas, en pâtit[46].

Le 25 septembre 2023, les autorités maliennes annoncent un retard dans les processus électoraux de la transition. Elles justifient ce retard par un contentieux avec Idémia. Selon elles, depuis mars 2013, la base de données Ravec est arrêtée[47]. Idémia attend pour faire un « transfert de propriété » et fournir l’accès de la base au gouvernement le paiement d’une facture de 5 milliards de CFA ou 7,5 millions d’euros. Dans cette version officielle malienne, le gouvernement dispose des serveurs à Bamako mais pas des mots de passe. Le gouvernement affirme qu’Idémia a « pris en otage » la base de données. Il est impossible de faire de nouveau enrôlements pour le fichier électoral. Le gouvernement annonce un « basculement sur un autre système »[48].

Des entreprises privées sont contactées par le gouvernement pour récupérer l’accès. Puis, le 13 février 2024, à la télévision, le porte-parole du gouvernement et ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation Abdoulaye Maïga annonce « la reprise du contrôle du système informatique de gestion des données du recensement administratif à vocation d’État civil et le lancement de Mali Kura Biométrie, une nouvelle plateforme nationale de gestion des données du recensement administratif »[49]. Une équipe de hackers maliens ayant travaillé pendant trois semaines dans le « Comité technique des experts bénévoles » à « récupérer tous les mots de passe de tous les serveurs » sont présentés au peuple malien comme des sauveurs[50]. Des ingénieurs maliens ont construit un nouveau système. Le président de transition salue une « solution souveraine développée par des Maliens ». Le présentateur de la télévision parle « de l’une des expressions de la souveraineté nationale ».

Après les difficultés rencontrées à la fin des années 90, quand il devient visible que le retour du multipartisme dans 36 pays débouche difficilement sur une démocratisation, la communauté internationale, en particulier l’ONU via son assistance électorale, fait de l’amélioration des fichiers électoraux une de ses priorités. Pour répondre à cette attente, des sociétés privées proposent la biométrie électorale. Elle se diffuse en Afrique à partir de 2001 jusqu’à toucher 37 pays en 2024. La société française Sagem qui deviendra Morpho puis Idémia, au Mali, sur demande du gouvernement, va plus loin et s’engage dans la mise en place d’un système complet intégré de l’état civil. Le Mali échappe ensuite aux conflits de mise en œuvre des listes électorales biométriques, tels qu’ils s’observent en RDC, au Togo, en Guinée, au Gabon, au Tchad ou, d’une autre manière, en Côte d’Ivoire. Dans ces pays, au-delà de l’amélioration de la liste électorale et de l’empêchement des votes multiples, se pose la question de savoir si les sociétés privées en charge de l’enrôlement biométrique et parfois d’une authentification le jour du vote, telles que la Sagem, Gemalto ou Zetes, restent neutres ou pas, orientent ou pas une partie importante du processus électoral en faveur du pouvoir.

A la fin des années 2010, la tension apparue au début de l’utilisation de la biométrie électorale entre 2005 et 2015 diminue globalement en Afrique, les fichiers électoraux s’étant améliorés. Tardivement, au Mali, se déroule un autre type de conflit situé dans une période de recul de la position française au Sahel. A Bamako, en 2024, la problématique d’une « dépendance »[51] dans le domaine des technologies numériques rejoint un questionnement sur la « souveraineté ». L’histoire de la biométrie au Mali entre 2008 et 2024 devient symbolique d’une évolution de la relation entre la France et le Mali et peut-être au-delà, d’une évolution plus générale de la relation entre la France et d’autres anciennes colonies françaises.

En 2023, de forts doutes s’accumulent sur l’issue des ‘transitions’ au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Tchad. Il est difficile de prévoir ce que seront dans chacun de ces pays les types de processus électoraux et s’ils permettront un retour vers de la démocratie au-delà de l’ordre constitutionnel. Dans les processus électoraux, la construction d’un fichier électoral est l’étape qui prend le plus de temps et les révisions de fichiers permettent de justifier des délais. Au Tchad en 2023, un enrôlement biométrique est effectué dans une certaine indifférence et il est défavorable aux provinces du Sud, ce qui est révélateur d’une continuité des méthodes entre le père et le fils Déby. Au Mali, du temps a été perdu en raison d’un contentieux avec une entreprise française présente depuis 2008 et cela attire l’attention, mais à côté de cela, les signaux qu’envoie la junte n’évoque pas une transmission rapide du pouvoir à des civils de manière consensuelle et démocratique, bien au contraire.

Régis Marzin, 9 mars 2024 publié le 28 mars 2024


[1] RFI, 17.7.2011 + IDEA, Fichier électoral et carte Mina du Mali, 22.11.2017, idea.int p10

[2] Ravec présenté au Kenya, ec-undp-electoralassistance.org, 5-9.3.2012, p8

[3] Ravec, ec-undp-electoralassistance.org, 5-9.3.2012

[4] 11 185 076 €, 7 336 928 897 F CFA, JO Mali, 13.6.2008, sgg-mali.ml

[5] Sékou Tamboura, Rapport du Groupe d’experts, 27-29.6.2011, afribone.com, 11.7.2011

[6] Kassim Traoré, malijet.com, 3.10.2011

[7] Sékou Tamboura, Ibid., afribone.com, 11.7.2011

[8] Ravec, ec-undp-electoralassistance.org, 5-9.3.2012, p19-21 + Abdoul Sy, id4africa.com, p77

[9] CP Morpho Contrat Mauritanie, 7.9.2010

[10] Morpho, Mauritanie un système intégré unique, Site non sécurisé en 2024 : morpho.com

[11] TSEP, ibid., tsep.africa.ufl.edu : A partir de 2006, le fichier électoral issu du Ravel est corrigé en fonction du fichier d’état civil mais n’en est pas extrait.

[12] TSEP, ibid., tsep.africa.ufl.edu

[13] kassataya.com, 4.8.2021

[14] Deux fichiers a priori séparés : pas d’extraction d’un fichier électoral d’un fichier d’état civil, mais plusieurs fichiers croisés, rapport MOE-UE 2010, p14-15

[15] Baudelaire Mieu et Pascal Airault, Jeune Afrique, 21.7.2009

[16] Xinhua, news.abamako.com, 11.5.2013

[17] Marielle Debos et Guillaume Desgranges, L’invention d’un marché : économie politique de la biométrie électorale en Afrique, Critique Internationale 98, 1.2023 : PDF dans mail 16.2.24, p14=129

[18] Note 36 MD+GD : Anonyme, « La paix, butin de guerre du business tricolore », La Lettre du Continent, 19 juin 2013.

[19] Note 37 MD+GD : Anonyme, « Sagem et son “M. Afrique”, Mohamed Sidi Kagnassi », La Lettre du Continent, 8 octobre 2009.

[20] Note 38 MD+GD : Rémi Carayol, « Mali : Kagnassi, un conseiller très spécial », Jeune Afrique, 31 mars 2014.

[21] Note 39 MD+GD : Anonyme, « Communiqué du conseil des ministres du mercredi 15 mai 2013, Bamako, Mali », Malijet, 15 mai 2013.

[22] Canada: Immigration and Refugee Board of Canada, 26.8.2016, unhcr.org + RFI, 24.6.2013

[23] lexpress.fr, 9.8.2013

[24] IDEA, 22.11.2017, Ibid., idea.int p17

[25] minusma.unmissions.org, 30.1.2015

[26] minusma.unmissions.org, 30.1.2015

[27] RFI, 20.7.2013

[28] minusma.unmissions.org, 30.1.2015

[29] minusma.unmissions.org, 30.1.2015

[30] temoignages.re, 7.3.2015

[31] PNUD, 18.12.2014, reliefweb.int

[32] CP OT 20.7.2016, idemia.com

[33] Anna Sylvestre-Treiner, Jeune Afrique, 11.5.2022

[34] Mathieu Olivier, Vincent Duhem, Mali-France. Jean-Yves Le Drian, VRP breton auprès d’IBK, Jeune Afrique, 25.6.2021

[35] Marielle Debos et Guillaume Desgranges, Ibid., 1.2023 : PDF dans mail 16.2.24, p14=129 + survie.org, 1.7.2021

[36] La sentinelle, repris par Abdelkrim Sall, fr.le360.ma, 9.9.2015

[37] Idemia, Partenariat public-privé, un dispositif de choix pour la gestion de l’identité, 5.2020

[38] news.abamako.com, 5.4.2016

[39] Joan Tilouine, Le Monde, 13.3.2018

[40] CP Abdoulaye Maiga 25.9.2023 p2

[41] RFI, 6.6.2018

[42] CanalFrance repris par news.abamako.com, 24.7.2018

[43] Sidi Dao, lejalon.com, 5.10.2023

[44] RFI, 21.2020

[45] Fatoumata Diallo, Jeune Afrique, 4.3.2022 + Mathieu Olivier et Vincent Duhem, Jeune Afrique, 24.6.2021 et 11.5.2022

[46] RFI, 12.5.2022

[47] RFI, 25.9.2023 : erreur de RFI sur base datant de 2018 car il s’agit de 2008-2011 même s’il y a un nouveau contrat en 2018

[48] CP Abdoulaye Maiga 25.9.2023 p3

[49] Koffi Acakpo, 14.2.2024

[50] David Baché, RFI, 14.2.2024

[51] RFI, 14.2.2024 : video à 2min10, gouvernement malien : « avec le risque de créer une nouvelle dépendance » en remplaçant Idemia par une autre société en 2023

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